Joseph Le Cléac’h, né le 26 août 1784 à Plomeur (Guilvinec), est le fils de Jacques Le Cléac’h et de Marie Anne Nicolas (de Crozon), mariés le 11 novembre 1782 à Recouvrance-Brest (juridiction du Châtel).
Le 19 septembre 1814 à Recouvrance, il se marie à Marie Anne Hily (de Bodilis, près de Landivisiau). Très vite veuf, il se remarie, le 26 mai 1819 à Plomeur, à Marie Tanneau, née le 11 avril 1782 à Plomeur, décédée le 27 janvier 1848 ; le couple n’aura pas eu d’enfant.
Inscrit maritime comme matelot à 21/27 fr, Joseph Le Cléac’h sert de 1803 à 1806 comme novice sur le vaisseau le Tourville. Toujours sur le même en1806, il devient matelot, puis passe sur le vaisseau le Foudroyant. En 1807, il est incorporé dans le premier régiment de marins de Brest. En 1808, il est matelot sur la frégate l’Hermione, sur le vaisseau le Cassard et passe, de 1809 à 1812 sur la frégate l’Elbe.
Il est intégré en 1813 au 6ème équipage de Haut bord. Déserteur le 14 septembre 1813, il rentre à bord le 29 septembre 1813 et sert comme matelot de 3ème classe sur la frégate l’Elbe jusqu’en 1814.
En 1816, il est présent à la pêche à Guilvinec. Levé à nouveau pour Brest le 30 décembre 1816, il est embarqué sur la gabare l’Alouette.
A la mer, une gabare est un bâtiment ponté, allant de 120 jusqu’à 450 tonneaux de jauge selon l’époque et le constructeur, gréé d’un mât à trois-mâts, destiné au transport de marchandises.
Elles étaient particulièrement utilisées, dès les années 1715, pour le transport des bois de charpente vers les arsenaux royaux, mais aussi pour le transport d’autres marchandises volumineuses. Les plus importantes sont armées de 10 à 20 pièces de canons de 4 ou 8 livres, parfois 12. Leurs excellentes qualités maritimes (capacité de chargement, robustesse, qualités de navigation sûres) les ont rendues appréciées des explorateurs des XVIIIe et XIXe siècles.
C’est à bord d’une gabare, le Gros Ventre, que Saint-Aloüarn découvrit l’Australie le 17 mars 1772. C’est à bord d’une autre gabare, l‘Astrolabe, que Jules Dumont d’Urville réalisa son voyage de circumnavigation en 1825-1829, à la recherche de Lapérouse.
Le 6 juin 1817, après avoir passé sans trop d’encombres toutes les guerres de l’Empire et le blocus des côtes bretonnes par les Anglais, Joseph Le Cléac’h va connaître une nouvelle aventure. Il est naufragé au cap de Bonne Espérance (Cap Français, Haïti) sur l’Alouette. L’événement sera immortalisé en 1822 par le peintre Louis-Philippe Crépin (1772-1851).
« Sauvetage de la gabare l’Alouette, 1817 : le tableau, une huile sur toile, met en scène les marins de ce navire lors de cet événement de mer. La gabare l’Alouette a été perdue le 6 juin 1817 près du Cap Français, sur la côte nord d’Haïti. Des marins ont abandonné le navire en perdition et se sont rassemblés sur un canot de sauvetage. D’autres ont déjà nagé vers les rochers ; épuisés, ils tendent les bras vers les trois hommes qui leur portent secours dans une mer terrifiante. »
Rescapé, Joseph Le Cléac’h est rapatrié en France : embarqué le 20 septembre 1817 comme passager sur le 3-mâts The Friend of London. Mouillant le 17 novembre devant Douvres, le marin guilviniste, envoyé à Calais le 18 décembre, arrivera à Quimper le 25 décembre.
A la pêche à Guilvinec sur la Pélagie de 1818 à 1823. Levé pour Brest à la Cayenne le 4 août 1823. Embarqué le 29 septembre sur le Vaisseau le Jean Bart jusqu’au 24 octobre. 1824 et 1825, à la pêche à Guilvinec sur l’Anne Louise Bon Voyage et la Pélagie.
Retraité vers 1834, on le retrouve à 59 ans en 1845, comme matelot sur le rôle d’armement de l’équipage (5 hommes) de la Marie Jeanne Mauricette dont le patron est son neveu Jean Etienne Le Cléach, 30 ans.
Joseph Le Cléac’h, est décédé le 12 février 1860 à l’âge respectable de 75 ans, exceptionnel pour un marin à cette époque, l’espérance de vie étant comprise entre 40 et 50 ans. Né sous Louis XVI, il aura vu passer la Révolution, le 1er Empire de Napoléon 1er, le retour de la royauté (Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe), la 2e République et enfin le 2e Empire de Napoléon III.
Avant de raconter ici (en juillet 2014) pour la revue Cap Caval ) la vie d’Émile Le Corre, maître-charpentier à Léchiagat, je voudrais rappeler les circonstances qui m’ont amené à le rencontrer et à pouvoir ainsi recueillir de précieux renseignements sur la mémoire du métier et des savoir-faire accumulés par ces véritables seigneurs que sont les charpentiers de marine bois.
De mai 1990 à février 1991, j’ai suivi toutes les étapes de la construction du chalutier Nevez Amzer, semaine après semaine. J’en ai réalisé quelque 250 diapositives retraçant la mise en place progressive de ce puzzle assemblé qui constitue la structure d’un navire de pêche en bois.
Mais, surtout, à chacune de mes visites, je me suis enrichi des entretiens que j’ai eu avec Émile et son associé, Pierre Le Bec. Leurs commentaires, toujours très documentés de références que je qualifierai de savantes, m’ont ainsi permis de concevoir un diaporama qui sera projeté à un public nombreux, une quinzaine d’années plus tard à Haliotika en présence des charpentiers, dans le cadre de la fête de la culture bretonne d’Emglev Bro Vigouden.
En 2000, je fus à l’origine d’un petit film de 12 minutes en breton, « Bered bagoù ar Gelveneg ». Réalisé par Alain Gallet, Émile y intervenait avec Michel Le Roy et Pierre Le Goff pour évoquer les malamoks et le cimetière de bateaux. Il fut diffusé dans l’émission de FR3, « Du-mañ, du-se », présentée par Bernez Killien.
Quelques autres rencontres et de longues heures d’entretien en août 2013 m’ont permis de mieux cerner la personnalité et la science du maître-charpentier. C’est ce que je me propose de vous faire partager.
Après Jakez Cornou qui a pris le large vers l’île d’Avalon en septembre dernier, Pierre-Jean Berrou, le «menhir de Moguer Grean» vient à son tour d’être foudroyé à 93 ans.
L’historien du port de Guilvinec
Professeur certifié d’Histoire-Géographie, agrégé de Géographie, spécialiste de la Préhistoire du Pays bigouden, il est sans conteste celui qui, après Yves Tanneau, a posé les bases de l’écriture de l’Histoire de la commune de Guilvinec et de son port. Sollicité par la municipalité de Jean Le Brun en 1980 pour une exposition dans le cadre de la commémoration du centenaire de la commune, il a accepté de réaliser bénévolement ce travail de mémoire monumental.
Ont suivi, pendant des années et des années, de nombreux articles thématiques consacrés à cette mémoire et publiés dans Ar Gelveneg le bulletin municipal de Guilvinec, celui de Treffiagat ainsi que dans la revue Cap Caval dont il est l’un des fondateurs aves Jakez Cornou, Serge Duigou, Mikel ar Roue et Nicole et Félix Le Garrec.
Exigeant avec les partenaires institutionnels, n’appréciant ni les adeptes «de l’à-peu-près» ni ceux qui lui «mettaient des bâtons dans les roues» pour des motifs futiles, Pierre-Jean était une personnalité reconnue et appréciée, non sans raisons dans le Pays bigouden. Expert du patrimoine maritime, il a participé à la défense de l’arrière-port et de son cimetière de bateaux, témoin irremplaçable du savoir-faire des charpentiers de marine locaux et de la pêche guilviniste depuis le début des années 1920.
Référence indiscutable pour l’Histoire de Guilvinec-Léchiagat, Pierre-Jean était un travailleur infatigable, appliquant rigoureusement une méthodologie respectant les normes de l’historiographie tout en sollicitant les témoins de terrain, illustrant son propos d’une iconographie basée sur les photos et cartes postales anciennes qu’il réussissait à «faire parler» pour appuyer concrètement la restitution de la vie du port, de ses hommes et de ses femmes.
Un fils de marin-pêcheur devenu enseignant
Pierre-Jean Berrou est né à Guilvinec le 4 avril 1930, soit presque 50 ans jour pour jour après la création officielle de la commune, le 6 avril 1880. Avant son entrée à l’École Normale d’Instituteurs de Quimper, il sera porté sur le rôle comme inscrit maritime (mousse et novice) pendant neuf mois de 1945 à 1947 et embarqué à la petite pêche sur la pinasse Jeannine (GV 5934, construite en 1931) de son oncle Marc Le Faou, qui sera également un de ses principaux informateurs lors de ses enquêtes.
Au début des années 1960, il obtient, avec son épouse, Annie, une nomination comme instituteur à Plovan. C’est là qu’il participe à ses premières fouilles avec Pierre-Roland Giot. De nombreuses autres suivront, ailleurs dans le Pays bigouden. C’est un pionnier de la pédagogie active et ouverte sur l’extérieur de l’école, car il initie ses élèves à la recherche d’indices d’habitat préhistorique. Pierre Gouletquer, archéologue au CNRS, lui rendra hommage en 1979 dans un ouvrage qui vient d’être réédité en 2022, Préhistoire du futur (Éditeur Anacharsis).
Nommé par la suite professeur au CEG de Guilvinec, il sera reçu au CAPES d’Histoire-Géographie ainsi qu’à l’Agrégation de Géographie en 1972.
L’histoire locale, les expositions
L’implication de Pierre-Jean dans l’Histoire locale de Guilvinec — sa ville natale — a commencé en 1980 avec la collecte de documents et de témoignages afin de réaliser une exposition dont la municipalité de Jean Le Brun lui avait confié l’organisation, à l’occasion des 100 ans de la commune.
Pour rédiger ses études, il a souvent privilégié les témoignages oraux d’acteurs locaux : vieux marins, anciens patrons-pêcheurs, ouvrières d’usine, résistants, …. L’interview de ses informateurs se déroulait souvent sur le quai ou dans la criée, à l’arrivée des chalutiers. Parfois il les retrouvait autour d’un verre dans un bistrot de la rue de la Marine, Ti ar chinken, le merlan bleu en breton, surnom donné au propriétaire (M. Quéffelec). Le contact direct, la bienveillance et la convivialité, tels étaient les modes d’approche de notre enquêteur. Sa bonne connaissance de la langue bretonne, même s’il s’exprimait le plus souvent en français, facilitait souvent la relance de mémoires un peu défaillantes.
Dans la foulée, Pierre-Jean a poursuivi l’entreprise en rédigeant nombre d’études relatives à l’Histoire de Guilvinec, publiées pour la plupart dans le bulletin municipal « Ar Gelveneg » dirigé par son ami d’enfance Jean Kervision, adjoint au maire, Xavier Charlot. Parmi les sujets abordés, le développement du port après l’arrivée du train en 1863, la création de la commune en 1880 et son évolution, la pêche, les événements de la vie locale, la Seconde Guerre mondiale et la Résistance, l’origine de la population guilviniste, ou encore le football à l’Union Sportive Guilviniste.
A ce sujet, il faut dire que Pierre-Jean a dû établir un record qui pourrait figurer dans le Livre Guinness des records, à savoir une longévité sportive hors du commun. S’il a signé sa première licence chez les « Crabes » en minimes à 14 ans, il n’a arrêté sa carrière sportive sur les terrains de foot en loisirs, qu’à l’âge remarquable et exceptionnel de 78 ans, soit plus de soixante ans dans le même club. Son jubilé a été fêté en 2008.
Autre exposition qui a connu un grand succès populaire, l’histoire de l’arrivée, en 1907, du train Birinik à Guilvinec, lors d’une foire-exposition sous chapiteau sur le terre-plein du port dans les années 1990 — et dont le thème était le modélisme. Les panneaux retraçant cet épisode seront à nouveau présentés au CLC en 2012, lors du spectacle organisé par l’association Emglev Bro Vigouden, présidée par Mikel ar Roue, dans le cadre du festival Tarz Mor. La veillée consacrée au train Birinik, était illustrée par un diaporama de Claudine et Jean-Pierre Durand et accompagnée musicalement par une création de Régis Huiban, avec la participation de Claude Péron et Serge Duigou pour la partie historique.
Des balades patrimoine commentées
Toujours disponible pour partager ses connaissances, Pierre-Jean mettait volontiers ses compétences au service de balades patrimoine : les sorties Cap Caval, le circuit des mégalithes ou la découverte du site de La Torche pour le Musée de la Préhistoire, les randonnées de l’association War Maez de Plomeur, l’accueil de groupes extérieurs, …
Pendant une vingtaine d’années, Pierre-Jean a guidé entre 30 et 40 membres de l’Amicale Laïque de Treffiagat- Léchiagat, tous les seconds dimanches du mois, à travers le Pays bigouden et au-delà, dans tous les sites remarquables, préhistoriques, historiques ou géologiques.
Défense et promotion du patrimoine
Si Pierre-Jean a contribué, de par sa grande connaissance du patrimoine bâti de la commune de Guilvinec, à la rédaction du « dictionnaire » Le Patrimoine des communes du Finistère publié par les Éditions Flohic en 1998, il s’est aussi engagé pour la défense du patrimoine maritime du port de Guilvinec-Léchiagat.
Le réalisateur rennais Alain Gallet (France 3 et Aligal productions) s’est déplacé à deux reprises sur le site du cimetière de bateaux pour réaliser deux documentaires, l’un en breton avec Émile Le Corre, Pierre Le Goff et Mikel ar Roue, le second en français, de 52 minutes. Intitulé Malamok blues, ce dernier obtiendra d’ailleurs le prix de la création en Bretagne au Festival de cinéma de Douarnenez en 2004.
Pour le premier, un film d’une vingtaine de minutes — dont la diffusion était programmée le samedi après-midi sur France 3 et présenté par Bernez Killien — nous avions accompagné l’équipe de tournage sur le site. A midi, nous étions allés partager un repas chez Robby, à l’Olivier, rue de la Marine. Je me souviens encore d’Alain Gallet décortiquant patiemment ses galathées, mais hyper-concentré, buvant à fond les paroles de Pierre-Jean qui nous a gratifiés d’un cours magistral XXL, à tous les sens du terme, sur la pêche guilviniste, les bateaux, la charpente de marine.
Le réalisateur rennais m’a confié, peu après cette rencontre, avoir compris pourquoi des gens s’investissaient autant pour sauver quelques carcasses d’apparence squelettique au premier abord mais, au bout du compte, porteuses d’une histoire humaine riche qu’il fallait préserver absolument. Pierre-Jean y a probablement été pour quelque chose … Et le film Malamok Blues, devenu une référence documentaire sur les cimetières de bateaux en Bretagne, est né de cette rencontre.
Plus tard, face à un nouveau projet de port de plaisance qui aurait, une fois de plus, menacé cette zone humide patrimoniale, un collectif, Au Nom du Ster, soutenu par Bretagne Vivante et Eau et rivières de Bretagne, s’est créé pour défendre le site de l’arrière-port. Nous nous y sommes retrouvés pour animer une balade patrimoine en décembre 2012 (80 participants).
La solidarité maritime
Depuis une quinzaine d’années, Pierre-Jean s’y était investi en rejoignant le Conseil d’Administration de l’association Les Abris du marin. Cette œuvre sociale fondée en 1899 par Jacques de Thézac, reconnue d’utilité publique en 1920, a pour but de venir en aide, aux marins de la marine marchande (pêche et commerce) et à leurs familles par l’attribution de secours financiers, sur tout le territoire marin français. Les aides sont toujours affectées à des actions spécifiques comme des cotisations de mutuelle, des loyers permettant aux familles en difficulté de reprendre contact avec leurs bailleurs ou de factures d’eau ou d’électricité afin d’éviter des coupures.
Des publications
Hier Le Guilvinec-Léchiagat, Pierre-Jean Berrou et Roland Chatain, Collection Mémoire, Éditions Châtain, 1994.
Origine et histoire des Bigoudens Jakez Cornou, avec Pierre-Roland Giot et Pierre-Jean Berrou, Le Guilvinec, Éditions Le Signor, 1977.
Histoire du Pays bigouden, Serge Duigou avec Jean-Michel Le Boulanger, Pierre-Jean Berrou et Annick Fleitour, Palantines, 2002.
« Une plage fossile à Penmarc’h », Revue Penn ar Bed n° 43, 1965 (SEPNB, Bretagne Vivante).
Voir aussi la liste de ses articles publiés dans de nombreuses revues, dont Ar Gelveneg et Cap Caval, sur sa page Wikipédia.
Depuis mon diplôme universitaire obtenu en 2011/2012, j’ai commencé à publier de l’Histoire et souvent, j’ai fait appel à Pierre-Jean. Par exemple, pour renseigner mon livre « Noms de bateaux du Pays bigouden » Pierre-Jean m’a apporté de précieux renseignements sur les bateaux du port de Guilvinec-Léchiagat. J’ai pu également compter sur lui pour la relecture de la version finale, tout comme pour un autre livre, non publié à ce jour, traitant de l’Histoire de Guilvinec avant 1880, année de la création de la commune, du temps où son territoire faisait partie de Plomeur. Ses critiques, toujours constructives et argumentées, m’ont permis de faire évoluer mes écrits dans un sens positif, vers plus de clarté pour le lecteur.
Nous avons également co-signé un article dans le n° 33 de la revue Cap Caval (décembre 2014), intitulé « Le musée de la préhistoire à Penmarc’h ». C’est à cette occasion que j’ai appris que Pierre-Jean était, lors de ses venues en Pays bigouden pour des fouilles, le chauffeur attitré de Pierre-Roland Giot — qui n’avait pas son permis — qu’il avait l’habitude d’appeler « Monsieur Giot ».
Dans le sens inverse, j’ai pu de mon côté aider Pierre-Jean pour un article sur « Les malamoks de Léchiagat avant-guerre », publié dans le bulletin municipal de Treffiagat en 2012. Alors qu’il avait recueilli un peu plus d’une trentaine de noms auprès de ses informateurs, je lui ai permis, grâce à une recherche dans les registres matricules du SHD Brest (Archives de la Marine) de doubler ce nombre et de lui apporter d’autres renseignements que la seule mémoire humaine ne pouvait retenir (années de construction, immatriculation, dimensions, tonnage, puissance du moteur, …).
Quelques souvenirs personnels
En mai 1976, deux ans après la mise en service de deux courts extérieurs au stade de Lagat-Yar, un tennis-club a vu le jour. Le Comité directeur était composé de Henri Coïc, Pierre-Jean Berrou, Alain Biguais, René-Claude Daniel et Claude Péron.
Une des anecdotes les plus sympathiques qui me revient en mémoire date des années 1977/78. Au service militaire au Prytanée militaire de La Flèche (Sarthe), je rentrais en permission le vendredi soir en train et arrivais à la gare de Quimper à une heure du matin. Et combien de fois, je ne saurais le dire, je repérais une tête connue qui dépassait au milieu de la foule qui venait accueillir les passagers dans le hall. C’était Pierre-Jean qui attendait sa fille, étudiante à Rennes et qui m’embarquait, direction Guilvinec où il me laissait à la gare. Un sacré coup de main ! car si je n’avais pas trouvé ce bon samaritain, j’aurais dû marcher jusqu’à la sortie de Quimper et faire du stop pour rentrer au bercail.
Clins d’œil en guise de conclusion
Une anecdote que m’a racontée Pierre-Jean : alors que jusque là, tout le monde l’appelait Pierre Berrou (sauf au football où Amédée Biguais avait décidé de l’appeler Pierre-Jean, car ils étaient deux Pierre dans l’équipe des « Crabes »), il a décidé de lui-même de changer son prénom en Pierre-Jean pour ses publications.
La raison ? Pierre Hélias, lors de la publication, en 1975, du Cheval d’orgueil, avait pris pour nom de plume Pierre-Jakez Hélias. « Alors, s’est-il dit, pourquoi pas moi aussi ? » Comme le disait si justement Mikel ar Roue « N’eo ket evit fougasiñ, dres evit lavar ! » (Ce n’est pas pour se vanter, juste pour dire!)
Et Pierre Berrou devint Pierre-Jean Berrou. Mais pour tout le monde à Guilvinec, c’était Per-Jañ, à la mode des marins bigoudens !
Tout se fait au grand jour, me direz-vous, oui mais il n’y a pas de morts ! Détrompez-vous ! Cet anéantissement d’un outil de travail assurant les revenus de plusieurs familles de marins, sans compter les emplois induits à terre, est un geste réfléchi de mise à mort, sous des prétextes nébuleux, par ceux qui ont fait la promotion de ce qu’on a appelé le « Brexit », de toute l’économie d’une région appelée Pays bigouden. Mais pas que ; le problème va toucher toute la côte et effacer du paysage des acteurs économiques fondamentaux et créer, outre l’injustice de ces choix, de la misère pour les matelots, leurs femmes et leurs enfants. Et cela pour des années. 26 chalutiers d’un seul coup, rendez-vous compte de l’impact pour la pêche artisanale !
Dans son mémoire1 consacré aux fontaines du Sud-Ouest du Pays bigouden, Mireille Andro effectue « un véritable retour aux sources » en dressant un inventaire exhaustif de ces lieux où, « de tradition millénaire », on allait puiser l’eau, élément indispensable à la vie. La commune actuelle de Plomeur compte donc, en 1994, 100 fontaines recensées : 67 existantes, 5 comblées, 24 détruites et 4 sous forme de toponymes. A Treffiagat, elle en compte 22 : 13 existantes, 1 comblée, 6 détruites et 2 toponymes.
Quant à Guilvinec (section de Plomeur qui constituera en 1880 la commune de Guilvinec), on y trouve 12 : 4 existantes, 1 comblée, 7 détruites. Il est intéressant de mettre ces chiffres en parallèle avec les 115 villages de Plomeur, dont 12 à Guilvinec, ce qui permet de conclure que chaque village a sa fontaine ou que chaque point d’eau de la commune a vu la population s’y fixer et créer un hameau.
Les fontaines de Guilvinec
Kerfriant, détruite vers 1930, pas de consommation humaine ; un puits aujourd’hui condamné avant le cimetière.
Kergoz, détruite vers 1960, à l’ouest du manoir ; elle alimentait un lavoir et un abreuvoir à vaches. Il existait aussi un puits dans la cour du manoir.
Kermeur, existante ; n’a pas tari lors de la sécheresse de 1976 ; située à 80 m au sud du menhir ; un lavoir situé près du ruisseau est aujourd’hui détruit.
Saoul Kanap Du (Eteule de chanvre noir)2; comblée, recouverte par le gymnase Manu Berrou.
Kervennec, détruite ; 1 m de profondeur, margelle en granit, tarie en été. Toutes les fermes avaient un puits ; deux lavoirs indépendants.
Le Ménez, détruite en 1950, à l’ouest de l’atelier municipal ; son eau est « consommable », mais devient salée par remontées de l’eau de mer lors des grandes marées.
Feunteun Mari-Anna ar Poul, du nom d’une lavandière populaire dans le quartier (sud du stade de Lagat-Yar), de construction récente (en 1970 par Xavier Cossec). On peut cependant imaginer qu’une source existait déjà bien avant à cet endroit.
Un lavoir dans le même secteur, détruit vers 1970.
Poul-ar-Palud, place du 14 Juillet, lavoir de la place, détruit.
Poriguénor, à l’ouest de la ferme, à 7 m de l’avenue de la République ; existe encore ainsi qu’un lavoir à 3 m de là. Autrefois, il existait un puits, aujourd’hui recouvert par la route ; là aussi, on note des remontées d’eau de mer lors des grandes marées. [Le toponyme indique un ancien marais salant ; voir article microtoponymes de Guilvinec]
Saint-Trémeur, une fontaine détruite au sud de la chapelle, côté Kerléguer, sur le chemin.
Saint-Trémeur, une fontaine existante, récemment rénovée et enjolivée, alimentait le hameau de Prat-an-Ilis.
Une autre fontaine située sur le territoire de Plomeur est très voisine de Guilvinec : celle de Lagat-Yar.
Une légende liée à la présence d’une résurgence
Comme pour la ville d’Ys, mais à plus petite échelle, une anecdote lie à la montée des eaux une cérémonie druidique ancienne qui aurait perduré jusqu’au XVIIIe siècle. Un lieu de culte très ancien serait donc situé dans la baie de Men-Meur où serait englouti un site mégalithique, sans doute, près d’une source ou d’une fontaine. Albert Clouard rapporte cette légende :
« Par les temps clairs, entre Guilvinec et Penmarc’h, on voit à travers les vagues de larges tables de pierre qui n’étaient autre, prétend-on, que les autels de la cité détruite. Il y a un demi-siècle, les prêtres, accompagnés de toutes les barques du rivage, allaient chaque année en bateau dire la messe au-dessus de ces ruines. »
Sébillot, rajoute, citant Cambry : « Avant 1789, le clergé allait en procession au dolmen de Sainte-Madeleine (Charente-Inférieure), et, vers la même époque, on disait la messe en bateau, au-dessus de pierres druidiques, que l’on apercevait, à quinze pieds sous l’eau, entre Le Guilvinec et Penmarc’h. »
Si l’on observe bien la carte marine du SHOM, on peut distinguer une confluence d’anciens ruisseaux sous la mer. Elle coïnciderait avec la résurgence d’une ancienne source que cite Mireille Andro dans son mémoire. Elle pourrait se situer au sud de Toul ar Ster, vers Groaik6 ar Ster près du point : 47 47 33 N, 04 19 05 W.
1 Andro Mireille Les fontaines dans le sud-ouest du pays bigouden (Le-Guilvinec, Penmarc’h, Treffiagat-Lechiagat, Saint-Jean-Trolimon, Plomeur, Treguennec) 1994.CRBC Cote: M-05979-00
2 Eteule, partie du chaume, passée sous la lame de la faux ou de la moissonneuse, qui reste fixée à la terre après la moisson. Wiktionnaire
6 Gwrac’h : vieille femme ou, dans les légendes, sorcière ou sirène.
« Sera réputé bord et rivage de la mer tout ce qu’elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusques où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves. » (Ordonnance de 1681)
Le littoral est une frontière physique et biologique offrant des ressources primaires spécifiques1: ressources minérales (sables, granulats, maërl…), végétales (algues), halieutiques, salicoles … , à partir desquelles se sont développées des activités de pêche maritimes (côtières et lointaines), d’aquaculture, de saliculture, de récolte d’algues, de services liés aux pêches, et en aval des industries de transformation des produits de la mer (salage du poisson, pressage des sardines puis conserveries au XIXe siècle).
En Bretagne
L’usage traditionnel des algues en Bretagne, attesté au Moyen-Âge est certainement antérieur. Les saints bretons venus de Grande-Bretagne évangéliser la péninsule armoricaine dès les Ve et VIe siècles auraient « apporté avec eux l’usage des algues (pour se chauffer, se nourrir, engraisser les terres) ». Il est néanmoins probable que les algues aient été utilisées dès le Néolithique par les populations littorales trouvant sur les grèves une ressource facilement accessible et exploitable. L’usage domestique des algues est lié au mode vie des populations côtières, souvent paysans et marins. Celui-ci procède d’une économie mixte, relativement pauvre, qui s’équilibre par une exploitation conjointe des ressources maritimes et agricoles.
Des usages variés des algues
Le goémon récolté est trié, séché ou brûlé avant d’être utilisé :
comme engrais, le bezhin du (goémon noir),
comme aliment pour les animaux, le bezhin saout (goémon à vaches),
comme combustible.
Ramassé sur les grèves puis séché, il constituait une réserve pour l’hiver.
Les premiers usages industriels des algues en Bretagne remontent au XVIIe siècle. La production de soude (carbonate de sodium) à partir des cendres d’algues destinée à la fabrication de verre fut bientôt suivie par la production d’iode destinée à l’industrie pharmaceutique au XIXe siècle. Il n’y a pas de tradition alimentaire humaine connue liée aux algues en Bretagne
A noter2, la place centrale qu’occupe le goémon en tant qu’engrais. L’activité de ramassage de goémon apparaît dans 5 inventaires après décès de Plomeur : charretées de « fumier de grève », appellation du goémon-épave. Le goémon y est mentionné sous deux formes : vert (mouillé) et sec, trois fois plus cher. Les 5 possesseurs de goémon ont une fortune mobilière nettement supérieure à la moyenne.
Quel usage pour ces algues ?
Le Dictionnaire historique et géographique de Bretagne (Ogée) précise que « les engrais de mer permettent à l’agriculteur [sur la côte] de récolter encore quelque blé. (…) Ils sont les seuls usités, car ceux des animaux domestiques sont employés comme combustibles. » Pour comprendre son utilité, il suffit de se référer à l’importance que revêt le collectage de goémon en tant que fertilisant des terres et à tous les conflits nés de cette nécessité, ainsi que toutes les réglementations successives édictées depuis le Moyen-Âge. En breton bigouden, on emploie d’ailleurs indistinctement le mot teilh pour désigner le fumier d’origine animale et les algues.
Des réglementations pour la récolte et la coupe
En 18583, le Commissaire de l’Inscription maritime autorise les cultivateurs à récolter le goémon. En effet, elle « présente un intérêt incontestablement supérieur pour l’agriculture en ce sens que la fertilité des terres situées sur le littoral dépend uniquement de l’emploi comme engrais de cette plante. » Ils peuvent se servir d’une embarcation sans voiles ni mât et sans rôle d’équipage, à condition de ne pas en faire usage 10 fois dans l’année. Cette récolte doit demeurer restreinte et temporaire, sans aucun but de lucre et de spéculation. Condition expresse : cueillir le goémon et l’enlever avant la nuit et ne l’employer que sur leur exploitation. Par contre, tous ceux qui se serviront d’une embarcation et qui en feront un commerce seront soumis à l’Inscription maritime et obligés à prendre un rôle d’équipage.
À Plomeur et Guilvinec
Sous le Second Empire, à Plomeur, on ne coupe pas le goémon de rive pour servir d’engrais ; on n’emploie pour cet usage que le goémon d’épave que l’on trouve en toute saison. Le goémon de rive, c’est la classe pauvre qui le coupe pour être séché et servir de bois de chauffage. Deux coupes sont programmées dans l’année, celle de printemps (avril-juin) et celle d’automne (septembre-octobre). Quelques inscrits maritimes se servent d’embarcations pour récolter le goémon poussant en mer.
Four à soude dans les dunes de la Torche
Une activité de brûlage des algues pour la fabrication de soude existe également sur la commune. L’incinération est généralement concentrée sur la côte de la Baie d’Audierne. Sur une carte de la pointe de la Torche datant de 1868, on peut compter pas moins de 24 fourneaux (fours) à soude. Quelques autres existaient aussi sur la dune de Guilvinec (le dernier encore visible se situe à Men-Meur). « Pour cette opération, une fosse peu profonde est creusée dans le sol et garnie de dalles de granit sur les côtés et au fond. Elle sert plus ou moins longtemps, puis elle est abandonnée par celui qui l’a faite et qui va en établir une autre un peu plus loin. Ces « établissements » sont très nombreux et, en raison de leur mobilité, il est impossible d’en déterminer le chiffre. »
Cette nouvelle pratique n’est pas sans poser de problèmes de concurrence, car l’incinération diminue naturellement les quantités de goémon pour fumer la terre. Pour le Commissaire, il en résulte trois types d’intérêts qu’il faut concilier :
L’agriculture, qui prime sur tous les autres
L’industrie (de la soude) qui prend chaque jour de nouveaux développements
L’intérêt d’une nombreuse population indigente qui trouve dans l’incinération une ressource précieuse.
La fumée, source de gêne
Le 11 novembre 1864, le guetteur du poste électro-sémaphorique de Penmarc’h porte plainte auprès des autorités maritimes contre les brûleurs de goémon. En effet, lors de l’incinération, les fumées de six fours à soude installés à Saint-Pierre occasionnent une gêne importante pour la visibilité des navires. L’inconvénient le plus grave de cet écran de fumée serait de les empêcher de reconnaître la pointe et l’entrée du port par temps calme.
Ba’ ma c’harter, anv ar faktour (paotr al lizhiri) oa Larzul. Ya, Larzul, evel fourmaj Ploneour, kenstriver hini Pouldreuzig, gwall anavezet gant ar vartoloded.
Ur paotr mat e-touez ar baotred vat e oa eñ. Hag hiriv c’hoazh. Un den chik, me lâr deoc’h !
Met kalite kentañ paotr al lizhiri oa ar fent e rae gant ar re all, an divegadoù goapaer-dic’hoarzh hag a laoske divouezh ar re a grede serriñ e veg dezhañ.
E-touez ar re-mañ e oa teir vaouezh enorus, deuet d’un oad doujadus ha blije kalz dezhe gervel ar farser-se.
Teodoù fall, goaparezed, konchennerezed-tout ar re-mañ! Met diwall da begadoù lemm paotr an arzh al lizhiri !
Setu an den o erruout evel boas war e varc’h-houarn er straed, war-zu unnek eur d’ar vintin, d’ar 28 a viz Kerzu. Evel ma n’eo ket re fall an amzer, emaint dija an teir flaperezed aze war ar riblenn o c’hortoz anezhañ. Hag araok n’ije eñ kroget da lakaat al lizhiri b’ar vouestoù, ur bern goulennoù a zeue maez d’o genoù gante.
— Penaos ‘mañ kont ganeoc’h, Aotrou Laer Zul ?
— Ac’hanta, Aotrou farser, keloù mat ‘zo ganeoc’h ?
— Ha neuze, Aotrou fakturer, leun a zraoù ez eus c’hoazh da baeañ ?
— Un istorig ho p’eus da gontañ deomp ?
— Klevet p’eus keloù nevez ba’ kreizker ?
Laosk a ra ar farser ar flaperezed o c’hanañ o kantikoù hag eñ en ur gemerañ ur min benniget, gant ar mennozh da c’hoari dezhe un taol fin diouzh e c’hiz.
— Gwelet vez ’z eus kalz startijenn ganeoc’h ar mintin-mañ ! Mod pe vod gobari yac’h-pesk oc’h, ar pezh n’eo ket gwir gant tout an dud !
— O ma ! Unan bennak a anavezomp ?
— Gwelet ‘vo ma’ moc’h ken fin hag ‘vez soñjet ganeoc’h. Klevet ’m eus ur c’heloù fall o tont deus tu Men-Meur.
— Ha piv eo ?
— N’ho peus ket gouezet ? Fall eo an traoù gant Tan’ Fine. Koulz emañ hi o vont da vervel !
— Piv eo Fine ?
— Fine piv ?
— Gant piv emañ e gwaz b’ar mor ?
— Fine deus Penn-an-Hent ? Emañ aet pell ganti ?
— Ma ! Ur sapre vandennad hini sot emaoc’h ! Soñjit ‘ta ! Soñjit un tammig araok lavar forzh petra, kwa ! A-benn tri devezh, e vo fin ar bloaz ha rag-se Tan’ Fine zo o vont da witaat ac’hanomp !
Ha tri sapre inosantez emaoc’h, c’hwi ! N’eus ket unan evit saveteaat ar re all !
Dreist-holl pa vez hiriv an 28 a viz Kerzu, devezh gouel an Inosanted ! C’hwi oar mat !
Il ne reste malheureusement plus de témoins de l’utilisation des noms des nombreuses petites parcelles (microtoponymes) qui composaient anciennement le territoire de Guilvinec, faute d’usage quotidien pour désigner ces lieux fréquentés pour le travail des champs essentiellement ainsi que pour la connaissance des propriétaires répertoriés au cadastre1. Celui-ci nous révèle cependant environ 150 noms, essentiellement en langue bretonne et quasiment tous perdus aujourd’hui. La consultation de ce document est un vrai régal concernant la profusion de façons de nommer les parcelles, avant que n’apparaissent les noms de rues – dans les années 1920 – en se basant sur l’observation de la nature et du paysage façonné par l’homme. Un patrimoine imagé et informatif essentiellement oral qui ne pouvait que s’accompagner d’un travail de mémorisation pratiqué au quotidien ! Un vrai lexique que cette collection de noms !
Il ne reste malheureusement plus de témoins de l’utilisation des noms des nombreuses petites parcelles (microtoponymes) qui composaient anciennement le territoire de Guilvinec, faute d’usage quotidien pour désigner ces lieux fréquentés pour le travail des champs essentiellement ainsi que pour la connaissance des propriétaires répertoriés au cadastre1. Celui-ci nous révèle cependant environ 150 noms, essentiellement en langue bretonne et quasiment tous perdus aujourd’hui.
Autrefois, chaque crique (porzh), chaque rocher (maen ou karreg) possédait son appellation propre. La plupart ont aujourd’hui disparu sous les aménagements portuaires récents ou ne sont plus usités.