Pêcheurs de goémon

« Sera réputé bord et rivage de la mer tout ce qu’elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusques où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves. » (Ordonnance de 1681)

Le littoral est une frontière physique et biologique offrant des ressources primaires spécifiques1: ressources minérales (sables, granulats, maërl…), végétales (algues), halieutiques, salicoles … , à partir desquelles se sont développées des activités de pêche maritimes (côtières et lointaines), d’aquaculture, de saliculture, de récolte d’algues, de services liés aux pêches, et en aval des industries de transformation des produits de la mer (salage du poisson, pressage des sardines puis conserveries au XIXe siècle).

En Bretagne

L’usage traditionnel des algues en Bretagne, attesté au Moyen-Âge est certainement antérieur. Les saints bretons venus de Grande-Bretagne évangéliser la péninsule armoricaine dès les Ve et VIe siècles auraient « apporté avec eux l’usage des algues (pour se chauffer, se nourrir, engraisser les terres) ». Il est néanmoins probable que les algues aient été utilisées dès le Néolithique par les populations littorales trouvant sur les grèves une ressource facilement accessible et exploitable. L’usage domestique des algues est lié au mode vie des populations côtières, souvent paysans et marins. Celui-ci procède d’une économie mixte, relativement pauvre, qui s’équilibre par une exploitation conjointe des ressources maritimes et agricoles.

Des usages variés des algues

Le goémon récolté est trié, séché ou brûlé avant d’être utilisé :

  • comme engrais, le bezhin du (goémon noir),
  • comme aliment pour les animaux, le bezhin saout (goémon à vaches),
  • comme combustible.

Ramassé sur les grèves puis séché, il constituait une réserve pour l’hiver.

Les premiers usages industriels des algues en Bretagne remontent au XVIIe siècle. La production de soude (carbonate de sodium) à partir des cendres d’algues destinée à la fabrication de verre fut bientôt suivie par la production d’iode destinée à l’industrie pharmaceutique au XIXe siècle. Il n’y a pas de tradition alimentaire humaine connue liée aux algues en Bretagne

A noter2, la place centrale qu’occupe le goémon en tant qu’engrais. L’activité de ramassage de goémon apparaît dans 5 inventaires après décès de Plomeur : charretées de « fumier de grève », appellation du goémon-épave. Le goémon y est mentionné sous deux formes : vert (mouillé) et sec, trois fois plus cher. Les 5 possesseurs de goémon ont une fortune mobilière nettement supérieure à la moyenne.

Quel usage pour ces algues ?

Le Dictionnaire historique et géographique de Bretagne (Ogée) précise que « les engrais de mer permettent à l’agriculteur [sur la côte] de récolter encore quelque blé. (…) Ils sont les seuls usités, car ceux des animaux domestiques sont employés comme combustibles. » Pour comprendre son utilité, il suffit de se référer à l’importance que revêt le collectage de goémon en tant que fertilisant des terres et à tous les conflits nés de cette nécessité, ainsi que toutes les réglementations successives édictées depuis le Moyen-Âge. En breton bigouden, on emploie d’ailleurs indistinctement le mot teilh pour désigner le fumier d’origine animale et les algues.

Des réglementations pour la récolte et la coupe

En 18583, le Commissaire de l’Inscription maritime autorise les cultivateurs à récolter le goémon. En effet, elle « présente un intérêt incontestablement supérieur pour l’agriculture en ce sens que la fertilité des terres situées sur le littoral dépend uniquement de l’emploi comme engrais de cette plante. » Ils peuvent se servir d’une embarcation sans voiles ni mât et sans rôle d’équipage, à condition de ne pas en faire usage 10 fois dans l’année. Cette récolte doit demeurer restreinte et temporaire, sans aucun but de lucre et de spéculation. Condition expresse : cueillir le goémon et l’enlever avant la nuit et ne l’employer que sur leur exploitation. Par contre, tous ceux qui se serviront d’une embarcation et qui en feront un commerce seront soumis à l’Inscription maritime et obligés à prendre un rôle d’équipage.

À Plomeur et Guilvinec

Sous le Second Empire, à Plomeur, on ne coupe pas le goémon de rive pour servir d’engrais ; on n’emploie pour cet usage que le goémon d’épave que l’on trouve en toute saison. Le goémon de rive, c’est la classe pauvre qui le coupe pour être séché et servir de bois de chauffage. Deux coupes sont programmées dans l’année, celle de printemps (avril-juin) et celle d’automne (septembre-octobre). Quelques inscrits maritimes se servent d’embarcations pour récolter le goémon poussant en mer.

Four à soude dans les dunes de la Torche

Une activité de brûlage des algues pour la fabrication de soude existe également sur la commune. L’incinération est généralement concentrée sur la côte de la Baie d’Audierne. Sur une carte de la pointe de la Torche datant de 1868, on peut compter pas moins de 24 fourneaux (fours) à soude. Quelques autres existaient aussi sur la dune de Guilvinec (le dernier encore visible se situe à Men-Meur). « Pour cette opération, une fosse peu profonde est creusée dans le sol et garnie de dalles de granit sur les côtés et au fond. Elle sert plus ou moins longtemps, puis elle est abandonnée par celui qui l’a faite et qui va en établir une autre un peu plus loin. Ces « établissements » sont très nombreux et, en raison de leur mobilité, il est impossible d’en déterminer le chiffre. »

Cette nouvelle pratique n’est pas sans poser de problèmes de concurrence, car l’incinération diminue naturellement les quantités de goémon pour fumer la terre. Pour le Commissaire, il en résulte trois types d’intérêts qu’il faut concilier :

  • L’agriculture, qui prime sur tous les autres
  • L’industrie (de la soude) qui prend chaque jour de nouveaux développements
  • L’intérêt d’une nombreuse population indigente qui trouve dans l’incinération une ressource précieuse.

La fumée, source de gêne

Le 11 novembre 1864, le guetteur du poste électro-sémaphorique de Penmarc’h porte plainte auprès des autorités maritimes contre les brûleurs de goémon. En effet, lors de l’incinération, les fumées de six fours à soude installés à Saint-Pierre occasionnent une gêne importante pour la visibilité des navires. L’inconvénient le plus grave de cet écran de fumée serait de les empêcher de reconnaître la pointe et l’entrée du port par temps calme.

1 Cabantous Lespagnol Péron

2 Le Prat Youenn

3 SHD Brest 3 P 1 1858