J’entendrai des regards que vous croirez muets. (Jean Racine)
Pays bigouden, une belle œuvre
Un beau livre pour les amoureux du Pays bigouden, de beaux textes et de belles lumières que sait capter le photographe, un vrai cadeau à déguster sans modération !
À la pointe sud-ouest de la Bretagne, le Pays bigouden fait front, face aux coups de boutoir des vagues atlantiques. Sa haute coiffe brodée, qui fut la dernière à être portée au quotidien, symbolise désormais la Bretagne tout entière. C’est le pays de la langoustine vivante débarquée dans ses ports de pêche, du pâté Hénaff, du Cheval d’Orgueil, les mémoires paysannes de Pierre-Jakez Hélias, mais aussi le pays des Bonnets Rouges, les paysans révoltés sous Louis XIV, et au XXe siècle, des sardinières en lutte. Il est aujourd’hui confronté à deux défis de taille : le maintien de la filière halieutique et le devenir du littoral face au réchauffement climatique. Mais les Bigoudens et les Bigoudènes en ont vu d’autres.
Originaires ou amoureux du Pays bigouden, les auteurs de cet ouvrage nous entraînent dans un long et riche parcours, entre terre et mer, à la découverte des grands sites naturels, culturels et économiques de ce Cap Caval aussi fascinant qu’emblématique.
PAYS BIGOUDEN Au parapet du grand large, de Serge DUIGOU, Annick FLEITOUR et Jean-Yves GUILLAUME (Photographe) Éditions Géorama
Pour plus de détails, voir la présentation sur le site de Jean-Yves Guillaume
Naufrage de l’Alouette : un guilviniste sauvé en 1817
Joseph Le Cléac’h, né le 26 août 1784 à Plomeur (Guilvinec), est le fils de Jacques Le Cléac’h et de Marie Anne Nicolas (de Crozon), mariés le 11 novembre 1782 à Recouvrance-Brest (juridiction du Châtel).
Le 19 septembre 1814 à Recouvrance, il se marie à Marie Anne Hily (de Bodilis, près de Landivisiau). Très vite veuf, il se remarie, le 26 mai 1819 à Plomeur, à Marie Tanneau, née le 11 avril 1782 à Plomeur, décédée le 27 janvier 1848 ; le couple n’aura pas eu d’enfant.
Inscrit maritime comme matelot à 21/27 fr, Joseph Le Cléac’h sert de 1803 à 1806 comme novice sur le vaisseau le Tourville. Toujours sur le même en1806, il devient matelot, puis passe sur le vaisseau le Foudroyant. En 1807, il est incorporé dans le premier régiment de marins de Brest. En 1808, il est matelot sur la frégate l’Hermione, sur le vaisseau le Cassard et passe, de 1809 à 1812 sur la frégate l’Elbe.
Il est intégré en 1813 au 6ème équipage de Haut bord. Déserteur le 14 septembre 1813, il rentre à bord le 29 septembre 1813 et sert comme matelot de 3ème classe sur la frégate l’Elbe jusqu’en 1814.
En 1816, il est présent à la pêche à Guilvinec. Levé à nouveau pour Brest le 30 décembre 1816, il est embarqué sur la gabare l’Alouette.
A la mer, une gabare est un bâtiment ponté, allant de 120 jusqu’à 450 tonneaux de jauge selon l’époque et le constructeur, gréé d’un mât à trois-mâts, destiné au transport de marchandises.
Elles étaient particulièrement utilisées, dès les années 1715, pour le transport des bois de charpente vers les arsenaux royaux, mais aussi pour le transport d’autres marchandises volumineuses. Les plus importantes sont armées de 10 à 20 pièces de canons de 4 ou 8 livres, parfois 12. Leurs excellentes qualités maritimes (capacité de chargement, robustesse, qualités de navigation sûres) les ont rendues appréciées des explorateurs des XVIIIe et XIXe siècles.
C’est à bord d’une gabare, le Gros Ventre, que Saint-Aloüarn découvrit l’Australie le 17 mars 1772. C’est à bord d’une autre gabare, l‘Astrolabe, que Jules Dumont d’Urville réalisa son voyage de circumnavigation en 1825-1829, à la recherche de Lapérouse.
Le 6 juin 1817, après avoir passé sans trop d’encombres toutes les guerres de l’Empire et le blocus des côtes bretonnes par les Anglais, Joseph Le Cléac’h va connaître une nouvelle aventure. Il est naufragé au cap de Bonne Espérance (Cap Français, Haïti) sur l’Alouette. L’événement sera immortalisé en 1822 par le peintre Louis-Philippe Crépin (1772-1851).
« Sauvetage de la gabare l’Alouette, 1817 : le tableau, une huile sur toile, met en scène les marins de ce navire lors de cet événement de mer. La gabare l’Alouette a été perdue le 6 juin 1817 près du Cap Français, sur la côte nord d’Haïti. Des marins ont abandonné le navire en perdition et se sont rassemblés sur un canot de sauvetage. D’autres ont déjà nagé vers les rochers ; épuisés, ils tendent les bras vers les trois hommes qui leur portent secours dans une mer terrifiante. »
Rescapé, Joseph Le Cléac’h est rapatrié en France : embarqué le 20 septembre 1817 comme passager sur le 3-mâts The Friend of London. Mouillant le 17 novembre devant Douvres, le marin guilviniste, envoyé à Calais le 18 décembre, arrivera à Quimper le 25 décembre.
A la pêche à Guilvinec sur la Pélagie de 1818 à 1823. Levé pour Brest à la Cayenne le 4 août 1823. Embarqué le 29 septembre sur le Vaisseau le Jean Bart jusqu’au 24 octobre. 1824 et 1825, à la pêche à Guilvinec sur l’Anne Louise Bon Voyage et la Pélagie.
Retraité vers 1834, on le retrouve à 59 ans en 1845, comme matelot sur le rôle d’armement de l’équipage (5 hommes) de la Marie Jeanne Mauricette dont le patron est son neveu Jean Etienne Le Cléach, 30 ans.
Joseph Le Cléac’h, est décédé le 12 février 1860 à l’âge respectable de 75 ans, exceptionnel pour un marin à cette époque, l’espérance de vie étant comprise entre 40 et 50 ans. Né sous Louis XVI, il aura vu passer la Révolution, le 1er Empire de Napoléon 1er, le retour de la royauté (Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe), la 2e République et enfin le 2e Empire de Napoléon III.
Aet kuit ar c’habiten betek Tir Na Nog
Tremenet meur a wech dirak Rekourañs
ha tour-tan ar Porzig
araok mont da redeg war morioù don
tro-war-dro ar bed
ar vag en avel a-benn, war-zu ar c’hornog
evit e veaj diwezhat, kroget start ar stur gantañ.
Ur gouloù vihan a jom dirak hor daoulagad.
Dalc’homp soñj da viken.
Aet eo kuit ar c’habiten betek Tir Na Nog.
Kenavo dit Marsel !
Karout, da viken
Ar Men Du
Ho kared rin abaoe dec’h
Abaoe kenta deiz ar bed
Warc’hoaz ken stard em eus ho karet
Ma kollan alan hirio c’hoaz
Aze dalc’het, tu all ho karan
E lechiou n’ouzon netra outo
En ollved hag a chom da groui
Hag e pep tuiou a neblec’h
Hep ano deoc’h ho kared ris
Ho noz a lugernas em deiz
Re-bar d’un ehon a ven du
Ha neuze dres on deut er bed-mañ
La pierre noire
Je vous aimerai depuis hier,
Depuis le premier jour du monde.
Demain, je vous ai tant aimée
Que j’en perd le souffle aujourd’hui.
Là tenu, je vous aime ailleurs,
Dans des lieux inconnus de nous,
Dans l’univers encore à faire
Et les partout de nulle part.
Sans nom de vous, je vous aimai.
Votre nuit brilla dans mon jour
Comme une immense pierre noire
Et c’est alors que je suis né.
(Per Jakez Helias)
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Breton : la langue des marins ou la langue des intellos ?
À l’entrée du « pitit pont », deux écriteaux bleu marine portent chacun une inscription en lettres blanches : « Bateaux visitables. Bagoù da weladenniñ » et « Embarquement Voiliers traditionnels. Lestrañ gouelier giz gwechall ».
Sur les affiches de la fête, on a inscrit « Gouel ar bigi Brest » pour « Fêtes maritimes de Brest ». Qui a proposé ce « bigi » ? Probablement un marin des bords de l’Hyères — rivière qui coule dans la capitale du Kreiz Breizh, là où se trouve le siège de l’« Académie » de la langue bretonne — un marin d’eau douce qui n’a jamais navigué sur la mer. Car, oui, dans nos ports de pêche, les bretonnants natifs n’emploient que le mot « bagoù » pour le pluriel de « bag » et ce, depuis des décennies, voire plus.
De la même manière, la plupart de nos animateurs et journalistes bretonnants de France Bleu Breizh Izel et leurs invités ont donné fréquemment du « bigi », en direct de Brest. Mais curieusement, lorsque la fête s’est transportée à Douarnenez (où il reste encore une véritable culture maritime et bretonnante), on a entendu tout naturellement « bagoù » dans la bouche de la grande majorité des interlocuteurs.
Alors, « bagoù » ou « bigi » ?
« Bagoù » est le mot connu de la plupart des marins bretonnants (qui n’ont pas appris la langue à l’école, mais par transmission familiale ou sociétale). « Bigi » est un terme de la littérature écrite employé surtout par les néo-bretonnants, appris dans les livres, les livres de messe et les dictionnaires.
Ce mot, tout comme « bageier », autre dénomination littéraire, a probablement été inventé, selon l’expression de Yves Le Gallo, par un « marin de bord de Vilaine » qui, bien ancré sur le plancher des vaches, préférait l’abstraction des lettres aux vagues de l’océan.
On peut faire à ce « marin » le même reproche que celui fait à la mauvaise prononciation de kouign amanne au lieu de kouign aman-n. N’eo ket gwir, paotred ha merc’hed Douarnenez ?
À lire, entre les lignes
Notre quotidien national brestois, « le journal », Le Télégramme s’est encore singularisé par son ignorance de la convention typographique qui veut que les noms de bateaux soient écrits en italique. Et ce n’est pas nouveau ! On me rétorque que c’est à cause du logiciel de mise en pages qui est formaté de cette manière. Je répondrai qui sont les hommes qui décident de cela ? Pas des marins ou des amoureux du patrimoine maritime ! C’est une certitude : la technologie informatique dévore l’humain, au service de quoi ? Posons-nous la question !
Quelle platitude de voir leur personnalité, leur identité, à nos navires, réduite en visibilité. Placés au même niveau que le reste du texte, noyés dans la masse, il faut avoir de bons yeux pour les distinguer. Un certain manque de respect pour ceux qui sont, avec les marins qui les montent, les éléments centraux de ces Fêtes maritimes ! Messieurs du Télégramme, changez de logiciel s’il vous plaît ! La plupart de vos concurrents, eux, n’ont pas abandonné cette convention, bravo à eux !
Après les messieurs du Télégramme, les dames sont à l’honneur (ou devraient l’être) : on a pu lire dans un article de Zoé Gachen du 16 juillet 2024 : « Les femmes font leur trou dans l’eau !! ». Sachant que l’expression « faire son trou dans l’eau » a pour synonymes : couler (pour un navire) ou mourir (pour un marin), on peut se demander quel est le niveau de connaissance de la langue des marins exigé par notre journal pour accepter la publication d’un tel contresens par une jeune journaliste (et sans vérification de sa hiérarchie). Son objectif était certainement de valoriser une jeune femme face à de gros mecs lourdauds — l’intention est forcément louable —, mais qui tombe complètement à l’eau, c’est le cas de le dire, au sens propre et au sens figuré !
À boire : « Peu importe le prix du flacon, … ! »
Exception faite du bar de la Confédération paysanne, votre verre en plastique siglé des Fêtes, consigné 1 euro, (en principe) rendu avec le retour du récipient vide, faisait l’objet d’un achat obligatoire dans la plupart des bars extérieurs de ceux du quai ou chez les brasseurs. On peut se poser la question de la légalité du procédé qui pourrait s’apparenter à de la vente forcée ! Ou aussi celle du détournement de l’esprit de cette manière de faire, inaugurée, il y a quelques dizaines d’années par les « Vieilles charrues » ou autre festival, dans une optique écoresponsable ?
Le prix des bières (demi ordinaire) est rarement en dessous de 3,50 euros — mais plutôt à 4 euros, voire 4,50 —, sauf au pub Mac Guigan’s où j’ai pu commander au bar intérieur une Coreff ambrée à 2,70 euros, le prix habituel. Bravo aux irlandais ! Une belle économie, sans taxe et avec le sourire !
À manger
À l’exception de nos amis anglais avec un atelier de fumage de harengs, personne n’a eu la bonne idée (logique et évidente pour une fête maritime) de proposer la dégustation de produits de la mer : sardines, thon, maquereaux ou autres poissons locaux. Juste à signaler, un timide « sardines and chips » devant la criée. Une nouveauté remarquée (surtout pour le prix de 20 euros la part alors que le kilo en juillet, à la criée, était en moyenne compris entre 10 et 15 euros), les langoustines-frites, une association quelque peu « hérétique » pour les connaisseurs de la « demoiselle de Guilvinec ».
Par contre, on trouvait partout de nombreux stands de bouffe standard qu’on aurait très bien vu figurer au marché de Noël ou lors de kermesses ou autres foires-expos diverses, avec une propension au sucré. Après le Brexit et la casse des chalutiers ici-même, à 200 m du site de la fête, on aurait pu imaginer voir une opération solidaire organisée conjointement avec les marins-pêcheurs pour une mise en valeur forte de leurs produits.
Guerre et paix : un regret, le rejet du Shtandart
Là aussi, la solidarité n’a pas pu s’exprimer face à la raison d’État, malgré la bonne volonté affichée par la Ville de Brest, les organisateurs de la Fête et le soutien de tous les authentiques marins.
Lire le point de vue de l’association de marins « Mor Glaz » ainsi que celui de Hervé Hamon dans le Télégramme.
En guise de conclusion,
Un constat se confirme depuis quelques éditions : le marin est de moins en moins au centre des Fêtes maritimes de Brest. Il le pense, il le dit et, pire, souvent ne vient plus avec son bateau, se contentant de l’ambiance de Douarnenez ou d’autres rassemblements plus respectueux de l’humain naviguant.
S’il n’est pas ignoré, il n’en est pas moins marginalisé, voire utilisé comme faire-valoir. Une véritable fête est celle où les participants se prennent en main et en sont les principaux acteurs et non les spectateurs plantés ici et là pour faire décor.
Souvenez-vous des Paganiz (les Païens), la pièce de théâtre de Tangi Malmanche, magistralement interprétée sans répit tous les étés au village de Meneham à Kerlouan par la troupe du Strollad ar Vro Bagan de Goulc’han Kervella. Ce morceau d’anthologie de la culture bretonne et maritime nous rappelle de manière symbolique ce qui constitue justement le fondement de l’attachement des Bretons à la mer. A mettre en parallèle avec le constat précédent pour comprendre cet attachement.
Les Arvorizien, les habitants du bord de mer, revendiquent la légitimité du « lagan », la grande loi suprême de la mer, persistance d’un droit ancien révoqué par les ordonnances de Colbert de 1681. Et c’est dans cet esprit, me semble-t-il, qu’il faut situer le ressenti négatif des marins vis-à-vis des Fêtes maritimes brestoises.
BR 2024, carnet de bord d’un promeneur brestois Après la fête
Le 18 juillet
Après avoir fait, on défait. Mais ce n’est pas une défaite, sauf peut-être pour certains fêtards ? Un vrai succès, que ces fêtes.
Je suis de retour sur le site, mais du côté Est pour un RDV à 9 heures chez la rhumatologue qui a dû prendre une semaine de congés forcés. Pas facile de se garer. Certains secteurs du port sont encore interdits à la circulation. Le déménagement et le démontage ont déjà commencé tôt ce matin. Après le départ de la plupart des bateaux pour le « retour de noces » à Douarnenez, quelques-uns restant cependant à quai. L’un d’eux, anglais, n’a pas pu quitter Brest ce matin, l’un de ses marins ayant heurté la bôme au niveau de la tête. Il a fallu l’hospitaliser à la Cavale Blanche.
Il va falloir faire place nette et remettre les lieux en état. Ici, il y a aussi des gens qui travaillent toute l’année ! Les structures tubulaires de certains échafaudages, en particulier ceux qui portaient le matériel de sonorisation, déjà enlevé, partagent la verticalité avec les mâts et les grues. L’« igloo »-demi-sphère qui abritait le village polaire a perdu sa couche (de glace) de plastique blanc. Un homme casqué et sanglé comme un alpiniste s’apprête à démonter les superstructures sous l’œil vigilant du monument américain.
Le premier bassin s’est vidé de ses occupants. Il ne reste, le long des pontons provisoires, qu’une pirogue du Pacifique, quatre kayaks, deux canots vernis ainsi qu’une caravelle bleue et orange. Le quai Malbert rime avec désert. Les grandes tentes blanches aux toits pointus font penser à celles des Bédouins. Ne manquent que les dunes de sable et les dromadaires ! La pirogue mélanésienne creusée dans un tronc d’arbre, piteusement abandonnée sur un tas de sable ocre, se demande ce qu’elle fait encore là ! L’ancien canot de sauvetage d’Ouessant Patron François Morin est venu s’amarrer au ponton de la Recouvrance, face au trois-mâts hollandais Kampen, positionné à l’embarcadère des Îles.
Les pêcheurs à la ligne commencent à regagner leur poste préféré sur la digue Lapérouse. Maquereaux, dorades et autres aiguillettes, attention à vous ! On vous a laissés tranquilles pendant une semaine. Attention à ne pas vous retrouver dans leurs assiettes ! Une barrière métallique a fini dans l’eau près de la passerelle d’accès aux pontons, côté sud de la marina. Un long morceau de rubalise rouge et blanche flotte entre deux eaux, pour les séparer ?
Les pontons provisoires sont retirés par les techniciens de l’entreprise de location Locaponton, accompagnés d’un plongeur opérant sous la surface pour enlever les fixations reliant les différents blocs. Un skipper barbu (c’est souvent le cas, me direz-vous !) détache des drisses les décorations aériennes, le pavillon de la fête et d’autres, dont un poisson-manche à air joliment décoré.
Clap de fin, mais pas tout à fait : le mur extérieur de la digue va garder la mémoire de la course autour du Monde des Ultimes en début d’année. Remportée par Charles Caudrelier dont l’empreinte des deux mains a été moulée et reproduite dans une plaque de bronze installée ces derniers jours.
Les deux événements maritimes majeurs brestois de 2024 laisseront, scellés dans nos souvenirs des moments où les tourments divers de l’actualité ont été gommés pour faire place à une impression de zénitude, de laisser-aller et de relations positives et détendues.
BR 2024, carnet de bord d’un promeneur brestois J 6
J 6 mercredi 17 juillet
Dernier jour avant la grande régate qui va mener les bateaux d’une fête à l’autre, le « retour de noces » de Brest à Douarnenez, selon l’expression des « penn-sardin » farceurs qui désignent ainsi son prolongement dans le port sardinier. Quittant la rade pour la baie, l’« armada » va contourner les trois pointes de la croix que forme la presqu’île de Crozon.
Cette fois-ci, pour le troisième jour de mon abonnement — les « cartilages de mes genoux ayant bien chauffé » le lundi, selon l’expression de Gaétan, mon kiné, qui n’est cependant pas inquiet pour moi — j’ai décidé de réduire le temps de marche. Arrivé en voiture près des halles de Recouvrance, 10 minutes à parcourir à pied suffiront pour rejoindre la porte Jean Bart.
En Penfeld, la pirogue baleinière — Eh oui, ça existe ! Et ça vous épate ! — Sterenn de Lanester, qui peut naviguer à voiles, à rames ou à la pagaie, fait sa belle en paradant devant un joli canot vert bouteille gréé en sloop.
Sur le quai, au Fablab Iroise, c’est le bonheur pour les petits et grands Géo Trouvetout, chercheurs prolifiques jamais rassasiés de traficotages et d’inventions : « The right place to be ! » En effet, le Fablab affiche clairement sa philosophie : « Partager, concevoir, apprendre et réaliser ».
Au pied de l’ancien 2e Dépôt, caserne des équipages, le chasseur de mines Andromède se visite. Au-dessus, l’immeuble bientôt cédé à la Ville, a été investi par une joyeuse bande d’artistes qui ont mis au point l’opération « Brest au rendez-vous », une série d’animations du lieu du 5 au 17 juillet. Des plasticiens facétieux ont eu l’idée d’u installer une bonne douzaine de tentacules géants de céphalopodes rouges, verts ou bleus, sortant d’autant de fenêtres et prêts à capturer tout ce qui passe à leur portée. De quoi traumatiser une nouvelle fois les grands travailleurs de la mer Hugo et Gilliatt !
Un groupe de scouts (louveteaux) défile sans ordre, un peu décontractés avec tous leurs écussons cousus sur le dos, sans se prendre pour Tonton Cristobal ! Ils sont suivis de peu par un fourgon de premiers secours de l’Ordre de Malte France, siglée d’une croix blanche sur fond rouge. Encore des gens indispensables !
Sous le tunnel, la foule déboule ! A la sortie, porte Surcouf, le point de vue sur le Parc à Chaînes et le monument américain et ses pins parasols voisins en surplomb surprend le brestois moyen qui n’a jamais l’occasion de passer ici. Le photographe n’a pas, lui non plus, l’occasion de cadrer cette vue sous cet angle avec, en premier plan, une barrière blanche et rouge, surmontée du drapeau tricolore. Un couple LGBT, main dans la main, contemple le bâtiment Barracuda et les promeneurs.
Je me dirige vers la marina du Château et la digue Lapérouse où le mouvement des bateaux de la fête est le plus visible avant une petite régate en rade. Mais, là, pour aller les voir de plus près encore sur l’eau0, c’est une autre affaire car il faut trouver un embarquement ! Sur le mur Ouest du bâtiment des Phares et Balises, l’exposition des « Portuaires », grands personnages du port dessinés, peints et collés par Paul Bloas, voit défiler des milliers de personnes et la digue est noire de monde. Seuls les mâts des grands navires de la fêtes dépassent de cette masse, comme des grands arbres au-dessus d’une forêt.
Les photographes — je ne parle pas de ceux qui capturent des images par le biais de leur téléphone — s’en donnent à cœur joie ! Je précise qu’un « vrai » photographe se reconnaît au fait qu’il colle son œil au viseur d’un Canon ou d’un Nikon, de préférence (les deux derniers fabricants d’appareils photos avec une véritable optique). En bref, quelqu’un qui sait mettre en pratique l’expression fétiche d’Henri Cartier-Bresson : « Photographier c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur.»
Des sujets, ils n’en manquent pas : les élégants voiliers de belle plaisance (faciles à reconnaître, ils sont souvent tout blancs et vernis), les bateaux du patrimoine un peu plus « carrés » ou « pansus », c’est comme vous voulez, aux voiles tannées de couleur ocre rouge, le misainier de Lesconil le Sauveur des Petits, une yole de mer de compétition qui glisse à la surface de l’eau, Seagull de Yann Mauffret qui file à belle allure, une caravelle (embarcation sur laquelle j’ai fait mes premières et dernières armes à la voile à l’Île Tudy en 1968-69 avec le lycée de Pont-l’Abbé), le chalutier guilviniste Blue Wave, Poe, voilier de 1965, un Skellig 2.2, voilier transportable de chez Plasmor, gréé « en lougre » à deux mâts avec deux voiles au tiers, un peu comme les sinagots, le cotre noir Karreg Hir BR 732721, de l’écomusée des goémoniers de Plouguerneau, de 1969, réplique d’un sloop goémonier de 1930, Martine, BR 267931, bleu au liston rouge, sloop goémonier de Landéda.
Une bonne vingtaine de personnes en situation de handicap ou à mobilité réduite passent, embarqués sur la barge aménagée du Centre de Moulin-Mer, mise à disposition de l’association Distro War Vor (retour en mer). Ce moyen de transport adapté leur permet d’être sur l’eau pendant une heure et demie, et d’admirer au plus près toutes les embarcations qui naviguent en rade. Une « belle échappée » dont ils se souviendront longtemps.
L’horizon, dans la direction du Sud, ressemble à une accumulation de mâts, une forêt de triangles souvent blancs ou rouge-orange, une verticalité et une géométrie puissance mille dominant cette ligne étriquée autour de la rade, une vision somme toute limitée pour les marins qui veulent découvrir de grands horizons inexplorés. Et paradoxalement, l’Histoire nous démontre le contraire car, passé le goulet, l’immensité est à prendre, elle est à eux. Ils l’ont prouvé depuis quelques siècles, quittant Brest et revenant, faisant avancer la science de par les connaissances accumulées lors de leurs épopées maritimes autour du Monde.
Par milliers, les spectateurs se pressent sur la digue Lapérouse. Pas de Caudrelier, Coville, Gabart, Joyon, Le Cléac’h et consorts. Non, non, ce n’est pas l’arrivée d’un Tourdumondiste du Jules Verne ou celle d’un Ultime dernière génération, il s’agit d’un spectacle que nous offrent la marine nationale et la SNSM. Un spectacle à couper le souffle : un hélicoptère H-160 de la base de Lanvéoc-Poulmic et une vedette de la SNSM vont procéder à une opération d’hélitreuillage bien rodée. Commentée au micro par un spécialiste, la démonstration recevra les applaudissements et de grands signes amicaux de la main de la part des parents et de leurs enfants, montés sur leurs épaules pour ne rien rater du ballet aérien et nautique.
Devant la digue, la majestueuse et médiatique Étoile du Roy ferme le ban. Plein à ras bord de passagers, on aurait dit un « boat-people » d’où émanait de la musique populo-franchouillarde du style bal de noce ou karaoké, à fond les amplis, très peu dans l’esprit des Fêtes maritimes.
Retour sur le quai des baliseurs. Une queue impressionnante s’est formée pour la visite de l’Hydrograaf. Les auteurs de Locus Solus dédicacent sous un parasol. Certains, auteurs de BD, comme Erwann Le Bot, sont très concentrés sur le dessin original ornant la première page de l’album qui va repartir loin de Brest avec son nouveau propriétaire. De même pour les artistes-auteurs de la galerie POD, dans une tente voisine, tous graffeurs ou bédéistes : Gwendal Le Mercier, Gildas Java, Nibor, Wen 2, Julien Solé, … Un grand plaisir aussi de revoir l’ami Pod à qui l’on souhaite de recouvrer une meilleure santé.
Un grand coup de corne de brume ponctue la sortie du port de la frégate FREMM Normandie. Son départ est salué par des centaines de personnes.
Au village polynésien, un jeune sculpteur kanak travaille sur des troncs d’arbre pour réaliser de petits tikis aux motifs traditionnels des Îles du Pacifique. Une équipière de Roland Jourdain, tee-shirt siglé de la fondation We Explore (navires à voiles construits à base de matériaux naturels comme le lin), suit de près les gestes de l’artiste. Dans le stand voisin, des habitants de Nouvelle-Calédonie informent les visiteurs sur la signification du drapeau et des symboles de la Kanaky (son nom en langue mélanésienne pour les indépendantistes) : le bleu du ciel, le rouge du sang versé, le vert du sol, de la terre ainsi qu’un soleil jaune sur lequel figure en noir, le toutoune, emblème du chef de clan kanak. J’aurai d’ailleurs une longue discussion avec l’un d’eux, actuellement en formation professionnelle à l’UBO. Quelques boutiques voisines proposent les classiques colliers de fleurs ou de coquillages, des instruments de musique ou des vêtements en tissu imprimé richement colorés et ornés de motifs géométriques ou de formes végétales stylisées.
Face au chantier du Guip, à l’extérieur du stand du Musée de la marine, des comédiens costumés proposent une reconstitution vivante des techniques liées à la navigation et au bateaux au Moyen-Âge. Tout près, un atelier offre des démonstrations de fabrication de kayaks et canoës, à faire soi-même. Quelques très beaux exemplaires terminés et vernis sont exposés devant le stand.
Avant d’entrer au Guip, un jeune ouvrier-charpentier nous invite, explications et matériel à l’appui, à découvrir les techniques de torsion du bois et leur application à la charpente de marine bois lors de la construction d’un navire. Deux étuves pour le cintrage des bordés sont également présentées. L’utilisation de la vapeur d’eau permet de rendre flexible le bois et lui donner une forme courbe, ce qui ne manque pas, me direz-vous, dans une quelconque coque !
A l’intérieur du grand hangar, plusieurs expositions permettent de se rendre compte du savoir-faire du Guip. Des coques de bateaux de plaisance en cours de finition, récemment vernies, donnent l’impression — concept que ne renierait pas Claude Monet — d’être face à un kaléidoscope de couleurs ou plutôt à un miroir réfléchissant ceux qui le contemplent. Un coin du chantier est réservé à Paul Bloas et ses « Portuaires ».
Tous les soirs, avec la complicité de Serge Tessot-Gay, guitariste de « Noir Désir », il réalise en direct, devant un public de près de 200 personnes conquises, une performance consistant à créer une nouvelle œuvre peinte. Un vrai succès, m’a confirmé Paul après la fête.
Sur un établi, des plans de demi-coques permettent aux visiteurs de comprendre la structure de la coque d’un navire. Mais c’est à partir d’une demi-coque en bois (modèle qui va permettre de visualiser sa silhouette) que les charpentiers vont pouvoir établir la forme des carènes et les profils de la charpente axiale ainsi que les couples nécessaires à la construction. (Pour plus de détails voir le site du Chasse-Marée)
Un mur du chantier sert également de galerie d’exposition à quelques artistes-peintres (parmi lesquels une grande amie, Anne Smith, Peintre Officiel de Marine) et photographes.
Face aux bureaux du Guip, j’aperçois deux vieilles connaissances en grande discussion : Roger, porte-drapeau des anciens combattants et résistants de l’ANACR et Yffic, Maire du « Port de », élégant bob de couleur crème sur la tête et arborant le tee-shirt des « Tonnerres de Brest 2012 ». Mais ce n’est pas tout ; arrive alors Brigitte Simon, artiste brestoise renommée, et dans la foulée (olympique) François Cuillandre. Deux maires d’un coup ! L’occasion est trop belle (et trop rare) : et hop ! Clic-clac Kodak ! Voilà tout ce beau monde dans la boîte à images !
Tandis que les lichous font la queue au stand « Tacoz sucré » et autres croque-brioche, kouign-amann et glaces, je décide qu’il est grand temps pour moi de me rincer le gosier (sans visiter les Antilles). J’opte donc pour le bar extérieur du Remorkeur, décoré de faux bachis en papier. Après avoir commandé un demi, je demande au serveur s’il est le patron. Parce que, figurez-vous, le patron, c’est l’oncle de mon kiné. Ce n’est pas lui, mais son père est là et les présentations sont faites. Juste à ce moment, j’avise un ami d’il y a près de 60 ans du Lycée de Pont-l’Abbé et je l’invite à prendre un verre. C’est curieux, car nous ne nous rencontrons quasiment qu’ici, lors des fêtes maritimes de Brest ! Dans la même classe de la quatrième à la seconde, il s’agit de Jean-Guy Le Floc’h, PDG d’Armor Lux, un des principaux sponsors des fêtes. C’est à chaque fois l’occasion de bavarder amicalement et d’évoquer des amis communs, de leurs parcours et bien d’autres souvenirs, en toute simplicité.
Après avoir emprunté le tunnel et le « pitit pont », retour rive droite, à Recouvrance au pied de la Tour Tanguy qui veille sur le Biche, thonier de Groix, que je salue avant de quitter définitivement le site par la porte Jean Bart. En attendant 2028 !