Comme j’ai acheté (à l’avance) un billet trois jours à 30 euros pour les brestois, je vous conterai seulement mes pérégrinations du samedi 13, du lundi 15 et du mercredi 17. Il faut bien, à mon âge, ménager sa monture et s’économiser, vu les 7 kilomètres de quais à parcourir. Je ne vous parlerai pas non plus des animations en soirée ou nocturnes, car je n’y étais pas. A chaque journée suffit son labeur !
Samedi 13 juillet
Quand on descend de la gare à pied pour rejoindre le site des Fêtes maritimes, l’attention est attirée par un parking un peu spécial : le jardin Beautemps-Beaupré a été aménagé en garage à vélos — obligatoire — avec vue sur rade. Un premier avant-goût du spectacle qui se donne sur l’eau, du haut de ce balcon naturel. Vu d’ici, le Lamaneur de Paul Bloas, tel un cow-boy installé sur le bâtiment Le Grand Large, semble vouloir capturer avec son lasso les mâts des grands voiliers qui virent sur le plan d’eau du Port de avant de gagner la rade.
La foule, en rangs serrés, commence déjà à entamer une longue reptation entre les lignes parallèles matérialisées par les barrières métalliques des entrées, formant des couloirs où l’on doit se conformer à la norme établie : attente, fouille des sacs et vérifications des billets d’entrée (il est loin le temps où ceux-ci étaient tout simplement perforés chaque jour). Quel plaisir pour moi, lors des précédentes éditions, d’échapper à toutes ces formalités, étant accrédité presse en « free lance », ce qui me permettait de bénéficier de ce fait d’un accès direct et rapide par un couloir dédié à ces « privilégiés » dont je faisais partie.
A l’extrémité ouest du Parc à Chaînes, un peu plus loin que les manchots en plastique de l’Institut polaire français, posés au garde-à-vous devant des igloos très géométriques, Jean-Jacques Seité et ses équipes sont parés pour emmener les visiteurs découvrir la fête en calèche tractée par deux puissants postiers bretons.
Les quais sont noirs de monde. On comptera environ 100 000 personnes ce samedi, tout comme le dimanche 14 juillet. La digue La Pérouse, habituel lieu de promenade pépère, dominicale ou non, de rencontres sympathiques et spot particulièrement apprécié des pêcheurs à la ligne de toutes nationalités arrivés à Brest, est devenue le belvédère par excellence pour admirer de près le passage des voiliers, entrant et sortant du port. Pour les photographes, il est cependant difficile de prendre des clichés originaux sans cadrer dans leur champ de vision ces horribles canots en plastique — que certains nomment « tupperwares » — et autres boudins de caoutchouc avec leur moteurs hors-bord surpuissants qui produisent des sillages parasites sur l’eau.
Dans l’enclos des Phares et Balises, je retrouve les Éditions Locus Solus : Régis, sage comme une image dans son barnum, plus quelques auteurs en dédicace, parmi lesquels l’ami Jean-Jacques Grall avec son dernier ouvrage, « Le Blocus », qui met en scène les côtes bretonnes à l’époque napoléonienne, quand nos « meilleurs ennemis » anglais avaient positionné leurs navires pour empêcher tout ravitaillement et les entrées et sorties des ports bretons.
Du quai voisin où est amarré l’Hydrograaf, on a une vue panoramique sur trois bassins et trois éperons, où trônent en majesté les imposants trois ou quatre-mâts. En plein milieu navigue, paré des couleurs du drapeau ukrainien, le chalutier guilviniste de nouvelle génération, le Blue Wave (personnellement, j’aurais préféré qu’il soit nommé — en breton, evel just — Gwagenn Glas), navire à propulsion diésel-électrique.
Face au « Bonjour-Bonsoir » du Fourneau, derrière le pavillon de la Région Bretagne, quelques douzaines de touristes s’essayent à la gavotte et autres danses traditionnelles. Un chanteur-animateur, au micro au centre du cercle, donne des conseils aux novices et dirige la manœuvre. Pour la coordination de l’ensemble, ça reste de l’à-peu-près, mais enfin, en cette année olympique, l’essentiel est de participer, n’est-ce pas, cher Baron ?
Majestueuse comme un cygne glissant à la surface de l’eau, la Recouvrance s’avance sous voiles, devant une douzaine de misainiers parés de belles couleurs sur fond de coque noir, blanc ou bleu, alignés sagement au ponton devant la poissonnerie brestoise du bâtiment Le Grand Large. Sur le parvis Nord de celui-ci, une façade colorée et illustrée d’anciennes affiches de spectacles populaires divers attire le regard. C’est la face pile de l’espèce de mosquée décrite précédemment (J – 1). En réalité, il s’agit d’une sorte d’ancien théâtre en bois, de forme circulaire, qui propose nombre d’animations pour les enfants (de 0 à 77 ans !).
Côté Est du Quai de la Douane, toujours la même foule compacte. Au 4e bassin, parmi les coquilliers de la rade, deux chalutiers guilvinistes se font remarquer par la profusion de couleurs vives de leur grand pavois, hissé comme à chaque grande occasion. Contrairement au Blue Wave, qui emmène ses passagers sur l’eau, l’Atlantique et Bellatrix — du nom d’une étoile de la constellation d’Orion — sont visitables au ponton et permettent au public de s’informer sur le rude métier de marin-pêcheur au chalut, pas mal malmené ces derniers temps.
Juste devant les bigoudens, le Saltillo, élégant ketch espagnol de 1932, voilier-école de la région de Bilbao, capitale de la Biscaye, en Pays basque. Après avoir dépassé le village Terres de Bretagne et ses agriculteurs, on se retrouve de l’autre côté du 4e éperon, là où se trouve le Bélem. Magnifiquement pavoisé, ses trois mâts n’arrivent cependant pas à rivaliser en hauteur avec la vénérable grue bleue et jaune d’or Paindavoine n° 4, de 1951, classée monument historique en 2013 et un peu oubliée des guides touristiques, du fait de son emplacement dans une zone du Port de commerce aux grilles infranchissables en temps ordinaire.
Dans le 5e bassin, les grands voiliers néerlandais font face à l’Étoile du Roy, réplique de frégate corsaire de 1745. Mais ici aucun affrontement avec les marins des Pays-Bas. Au contraire, le trois-mâts basé à Saint-Malo, paré de noir et or, est ouvert au public et peut même recevoir à bord jusqu’à 120 personnes en mer. De longues queues se forment pour le visiter.
Devant le « hangar à patates », pas de frites, mais, voisinant avec une crêperie, un curieux — et c’est peu de chose de le dire — « Kebab breton, 100 % cochon » interpelle le visiteur. Certains esprits tordus se sont même posé la question de la décence du sujet, à savoir s’il s’agissait d’un cinéma en plein air qui projetait des films classés X ! D’autres avaient envie de manifester : « Oui aux galettes-saucisse ! Non au Kebab cochon ! »
Un sauveteur en mer de la SNSM (SNS 158 Éric Tabarly) de la Trinité sur Mer s’inquiète de l’équilibre précaire d’un gabier de la Recouvrance, perché tout en haut d’un mât pour rouler une voile. C’est beau, la solidarité des gens de mer ! Amarré au quai au fond du 5e bassin, le remorqueur de haute mer Abeille Bourbon, au chômage technique, contemple la figure de proue dorée de l’Étoile du Roy, arborant fièrement une poitrine généreuse que parvient à contenir difficilement un corset lacé serré.
Sur le terre-plein voisin, le village méditerranéen présente quelques pointus et autres barques aux couleurs vives, joliment agrémentés de symboles porte-bonheur. Les couleurs catalanes (sang sur fond or) y occupent une place prépondérante bien entendu. Autre curiosité, Lollo, un gozzo, bateau de pêche à voile italien joliment restauré. Les premiers de ce type ont été construits au milieu du XIXe siècle. Ces barques traditionnelles font aussi partie de la famille des pointus.
Dans la foule qui arpente les quais, outre les authentiques « pompons rouges » de la Marine nationale, quelques imposteurs sans uniforme se promènent, arborant un bachi en papier, bien imité, sur la tête. Je les soupçonne d’être allés se rincer le gosier sur le quai de la Douane, au Remorkeur qui en affichait une belle collection dans son bar extérieur !
Espace François Quéré (baptisé lors des Fêtes 2012 du nom d’un marin-pompier mort lors de l’explosion de l’Ocean Liberty en 1947), près de l’ancienne poste, sponsorisés par Brittany Ferries, ont pris place nos amis d’Outre-Manche. Baptisé « Escale Manche et mer Celtique », le lieu présente des bateaux anciens. Quelques ateliers expliquent par le geste le savoir-faire des Anglais et des Gallois en matière de techniques de construction navale, de fabrication de paniers en osier, de sculpture pour la décoration navale ou encore du fumage du hareng. Dans un coin, les jeunes agriculteurs présentent leurs produits bien formatés et bien alignés comme il se doit, en rangs d’oignons de Roscoff (de préférence).
Au carrefour 4Vents-esplanade du Grand Large, une bande de frapadingues musicaux emportent la foule par leurs notes de piafs en folie. Joliment déguisés, ce sont les musiciens-magiciens-caméléons de la fanfare de rue Fanfarnaum, aux airs entraînants rythmés par la batterie de l’ami Papik. Toujours bien assoiffé après un set d’enfer, il ne serait pas convenable pour lui de refuser de trinquer avec d’autres déguisés, mais d’une manière un peu plus uniforme, moins colorée sans trop de fantaisie, car officielle. Cependant, ils arborent un généreux sourire car, voyez-vous, la Marine — Eh oui ! Ce sont bien eux — se doit de faire bonne figure auprès des visiteurs sur les quais.
Retour sur le quai Malbert : j’avais oublié de mentionner la présence des plus vieilles embarcations navigantes au monde, les pirogues et radeaux en papyrus ou en balsa géant des lacs Tana et Tchamo d’Éthiopie. Il manquait juste les crocodiles géants pour l’ambiance !