La une du journal l’Excelsior quelques jours après la catastrophe.
La catastrophe de Penmarc’h, c’est ainsi qu’on a nommé ce drame de la mer, survenu le 23 mai 1925. Je m’en souviens d’autant mieux qu’il n’y avait que deux semaines que mon premier Pirn Bihan était sorti du chantier de Saint-Guénolé. Ce matin-là, la mer était assez belle et de tous les ports de la côte les chaloupes et les canots étaient sortis comme à l’accoutumée. Brusquement, le vent a fraîchi et bientôt il s’est mis à souffler du sud en tempête, soulevant des vagues énormes. Nous, avec le Pirn Bihan tout neuf, nous étions partis plein sud de Guilvinec pour la pêche au maquereau. Vu notre position, nous avons senti le changement de temps avant ceux qui étaient plus près de la pointe de Penmarc’h et nous avons fait route terre vers Guilvinec dès onze heures pour nous mettre à l’abri. Vers treize heures, deux bateaux de Saint-Pierre, le Saint-Louis et le Berceau de Saint-Pierre, tentaient de rentrer au port de Kérity. Mais la violence des éléments était devenue telle que lorsqu’ils atteignaient l’entrée du chenal de la Jument ils ne purent résister. Pris par l’arrière, par une vague scélérate, ils furent retournés et engloutis. Les canots de sauvetage de Kérity et de Saint-Pierre qui venaient à leur rencontre subirent le même sort. Neuf hommes seulement sur les vingt-quatre qui composaient les équipages des deux canots de sauvetage ont pu être sauvés. Les douze marins des deux bateaux naufragés ont disparu. Au final ce terrible drame fera 27 victimes, 26 morts et un disparu et laissera 24 veuves et 45 orphelins.
(Récit « imaginé » de Jean-Marie Péron, ar Pirn Bihan, d’après archives SCSN)
René Le Bihan, né le 15 mars 1937 à Lambézellec, s’est éteint à Brest ce matin du lundi 12 mai 2025, à l’âge de 88 ans. Il aura occupé les fonctions de Conservateur du Musée des Beaux Arts de Brest de 1964 à 2002.
Dans le jardin de Kérinou
Il y a une douzaine d’années, il avait bien voulu confier ses souvenirs d’enfance au journal Kériniouzes (Comité de quartier de Kérinou).
René Le Bihan : Naître à Kérinou juste avant la seconde guerre mondiale et y vivre son enfance
Voici les notes prises par les rédacteurs :
« Malgré l’épaisseur des temps qui nous séparent de cette époque, les souvenirs de René Le Bihan sont d’une précision extrême.
Kérinou : ses racines y sont fortement ancrées, car sa mère et sa grand-mère y sont nées. Son père, lui, vient de Recouvrance. À la différence de Lambézellec , c’est un quartier d’ouvriers et d’artisans. De nombreux ateliers ou commerces, des maisons sans confort, sans eau, sans évacuations, on monte sans ascenseur au troisième étage, des rues pavées, une odeur persistante venant des anciennes tanneries derrière la poste.
Premier flash : le temps d’Adolf
La famille est logée sous les toits, au dernier étage de l’immeuble dont le rez-de-chaussée est aujourd’hui occupé par la crêperie « Diwali ». René a un peu plus de trois ans. Le cri de sa mère le réveille : « Ils sont là ». À la fenêtre, elle regarde. Le petit garçon se hisse sur son tabouret pour voir passer sous la fenêtre un tank avec son canon hyper long.
Devant sa maison natale, aujourd’hui crêperie « Diwali »
D’autres images
Si l’armée d’attaque des Allemands était bien équipée, intendance et services l’étaient moins. Ils avaient des bourricots, chevaux courts et hauts sur pattes. Le jeu favori des enfants, passer entre les pattes des chevaux endormis, une fois même « piquer » le fouet puis aller gentiment le rendre. Un de ces bourricots s’est retrouvé après la guerre, au service d’une dame de Bohars qui livrait le lait dans de grands bidons d’aluminium gris.
Des images sonores
Les bombardements. Conseil du Maire : « Allez vers le lavoir ! » En fait, on restait chez soi. D’abord l’attente. Puis tout s’éclairait : des faisceaux prodigieux, un feu d’artifice de balles traçantes dans un bordel de bruit, une maison qui s’écroulait. Le bombardement était passé.
18 novembre 1943 : des bombes anglo-américaines tombent sur l’hôpital de Brest (un blessé léger) et un avion américain touché par la DCA allemande s’écrase à Kérinou sur les marronniers près de la chapelle. Un morceau d’aile, brisé lors de l’atterrissage forcé, emporte une partie du toit du logement des Le Bihan. La maman, affolée, va voir dans la chambre du petit ; dormant à poings fermés, malgré le froid et le bruit, il ne s’est rendu compte de rien. Malgré tout, il l’a échappé belle !
Les cris des résistants torturés à l’école Bonne Nouvelle, où la Gestapo avait établi son QG.
Mais en 1944, il a fallu décaniller.
Devant l’œuvre du céramiste quimpérois Pierre Toulhoat, autrefois au fronton de l’école de Bonne Nouvelle
L’après –guerre
Les expéditions à Kérédern : on allait y récupérer le bois des tranchées, des troncs entiers de pin blanc qu’on chargeait dans des chars à banc ou des brouettes. Bien sûr les gendarmes surveillaient mais le temps qu’ils arrêtent un ou deux contrevenants, les autres filaient avec leur chargement.
Les enfants, eux, récupéraient des balles que les pères avaient vidées de leur contenu explosif. Ils pouvaient aussi trouver et garder précieusement ces petits drapeaux jaunes triangulaires avec une tête de mort.
Les accidents de transport du vin dont on avait été si longtemps privé. Du port de commerce des camions remontaient des barriques de vin. Au moindre cahot, barriques dans le caniveau. Adieu barrique et bon vin ? Non, bonnes gens de se précipiter avec bassines, brocs, récipients de toutes sortes pour sauver le précieux liquide. D’aucuns même n’hésitaient à le laper. Le chauffeur avait beau crier « Touchez pas, c’est pas à vous ! »
L’accident du douanier : pèlerine de drap au vent, il descend à vélo vers Kérinou. Gêné par un véhicule, il tombe, le sang coule, on appelle les pompiers ; soulagement, en fait de sang les deux bouteilles de vin dans ses poches n’avaient pas supporté le choc.
Petits événements : inauguration du trolley en1947, on y montait sans difficulté la petite sœur dans sa poussette, les petits incidents avec les perches, la publicité de Dubonnet, les courses cyclistes, l’élection du roi de Kérinou .
L’école
L’histoire du grelot ? Trouvé quand René Le Bihan a été enfermé dans la cave de l’école après avoir fait une bêtise. Il l’a conservé.
L’école de Keralloche( École des garçons/École des filles) « vous apporterez des bûchettes » a dit le Maître du CP ». Pour quoi faire ? pensent les enfants. Les parents le savent. Le père part couper des branchettes, leur donne forme. Pendant ce temps maman confectionne un joli sac de tissu sur lequel elle brode les initiales de l’enfant R.L.B. A l’école le petit sac sera accroché à une pointe. Une bombe a touché l’école « Adieu l’école et les bûchettes ! »
L’école place de Strasbourg des baraques en panneaux de fibro-ciment, les mêmes que pour les clapiers des lapins.
Le collège moderne appartenant à la ville : études et fournitures étaient donc gratuites
Le lycée et la distribution des prix : le lauréat avait une brouette pleine de livres
Prémices d’une carrière
Un grand-père, héros des Dardanelles est peintre. La visite des ruines du Musée. Restent poutrelles et une accumulation de masques à gaz ; des images qui impressionnent : un grand mur avec l’image d’un diable rouge au corps floconneux et cette inscription : « Oui à la ouate thermogène ». Une autre image publicitaire : une lune noire qui recouvrait un croissant blanc. Plus tard, la visite du Musée de Quimper finira par confirmer la vocation de toute une vie à venir. »
Souvenirs recueillis en 2012 à la Ferme Jestin par Antoinette Massé et Claude Péron
VOL DE DEUX OIES. — Le 12 courant au matin, Mme Riou, cultivatrice, habitant à Kerhervé-Vian, en Loctudy, constatait avec stupéfaction que deux belles oies de sa basse-cour, l’une grise et l’autre blanche, d’une valeur de 50 francs, avaient disparu pendant la nuit et que sur six volatiles de cette espèce qu’elle possédait il ne lui en restait en tout et pour tout que quatre. Elle alla conter sa peine à la gendarmerie non sans indiquer aux gendarmes qu’il y a deux ans environ elle avait été victime d’un vol identique de 4 oies de la part d’un nommé Le Pape, de Stang-ar- Goff.
Les gendarmes se rendirent aussitôt au domicile du nommé Le Pape.
« Au nom de la Loi, ouvrez ! »
Celui-ci nia énergiquement être l’auteur du vol, mais comme une certaine quantité de duvet et quelques os de volaille traînaient dans la maison de Le Pape, il dut avouer, en présence de ces pièces à conviction, qu’il était bien l’auteur du vol. Mais …
« Trop tard, la l’oie, elle est dans la marmite ! »
En revenant de Lesconil, dit-il aux gendarmes, j’ai eu l’idée de prendre deux oies dans la cabane où il y a deux ans j’en avais pris quatre et que je connaissais bien. C’est le manque d’argent et la faim qui m’ont poussé à commettre ce vol. Le récidiviste a été appréhendé.
La Dépêche 19 août 1936
Les intertitres sont de mon grand-père Jean-Marie Kerdranvat (1906-1979)
Les «Chemins Bleus», c’est une complicité entière entre l’auteur de cette biographie, rédigée de main de maître par Frédéric Jambon, journaliste retraité très expérimenté, et son sujet, l’acteur d’une vie déroulée dans ce livre, Dan ar Braz.
Tout comme Alan Stivell, Gilles Servat, Denez Prigent (j’attends avec impatience sa bio) ou encore les Sonerien Du (soyons un peu bigoudéno-chauvins), Dan a accompagné plus de 50 ans de ma vie culturelle et musicale.
Sa grande capacité à créer des concepts innovants pleins de sensibilité, d’émotions et de créativité m’a ouvert des horizons musicaux encore inconnus. Mettant son feeling de guitariste au diapason de son génie de compositeur, fédérant des équipes, il a initié des projets personnels et collectifs venus enrichir notre culture musicale et qui resteront gravés à jamais dans un patrimoine breton sans frontières.
Pas besoin de détailler plus. Je vous conseille de vous plonger dans la lecture des «Chemins Bleus». Si vous connaissez déjà Dan, vous dégusterez les textes comme une bonne recette qui a fait ses preuves. Si vous ne savez pas qui il est et quel est son parcours, vous allez obligatoirement en ressortir convaincus ou du moins très curieux de goûter ce qu’il vous propose. Et, parole de connaisseur, je vous assure que vous ne serez pas déçus par le menu (à 25 euros), copieux et qualitatif à souhait.
Bonne lecture.
«Chemins Bleus» est édité par Coop Breizh
Rencontre dédicace à Dialogues Musique Brest Photo Frédéric Jambon
Mais qui peut bien en vouloir à ces « beaux volatiles » ?
« Nouvelles du Port : Les pigeons du préfet
Les pigeons du préfet sont les goélands et les guillous qui remontent la Penfeld lorsque le mauvais temps les oblige à fuir la pleine mer.
Ils sont aux ouvriers de l’arsenal ce que les pigeons de Saint-Marc sont aux Vénitiens ; très aimés, on les considère comme étant de la maison. Nul ne s’aviserait en vain de lancer une pierre dans leur direction, et c’est à qui leur présentera un morceau de pain.
Aussi, tous ces beaux volatiles, gris et blancs, prennent-ils leurs ébats sur la rivière, tournant gracieusement autour des chaloupes, des remorqueurs et autres embarcations, puis, fuyant à tire-d’aile, ils plongent bientôt pour s’emparer de la proie qu’un œil de lynx leur a fait apercevoir entre deux eaux.
Depuis que le froid rigoureux est venu, les « pigeons du préfet » ont regagné l’intérieur de l’arsenal maritime, où ils nagent à proximité des quais, avec la grâce de cygnes en promenade, au grand plaisir du personnel que leur allées et venues intéressent fort et amusent pendant le repos du midi. »