Qui étaient les premiers habitants du Guilvinec ?

La découverte, en 1926, d’une allée couverte, construction extrêmement intéressante datant du néolithique (3000ans av JC), dont l’existence est demeurée longtemps insoupçonnée, va donner aux archéologues des éléments nous permettant de connaître une (petite et modeste) partie de la vie des anciens habitants qui ont peuplé ce coin maritime du Pays bigouden, il y a quelques milliers d’années. Voyons ce que disent les objets recueillis lors des fouilles.
Les charbons
En menus fragments, ils sont pour la plupart de consistance dure, cassante. non transformés en braise friable. En procédant comme d’habitude à leur examen à la loupe binoculaire, après avoir provoqué une cassure transversale aussi nette que possible. on constate que la structure du bois est généralement bien conservée. Les déterminations sont donc possibles avec précision.
L’étude faite a permis de reconnaître plusieurs essences :
Chêne : vraisemblablement chêne pédonculé. C’est l’espèce qui domine et à laquelle se rapporte plus de la moitié des fragments examinés.
Ajonc : cette espèce est aussi abondamment représentée (un quart ou un tiers des fragments déterminables).
Bourdaine : deux fragments assez volumineux, de structure très nette.
Saule : plusieurs petits fragments. On ne peut définir de quelle espèce de saule il s’agit.
Toutes les espèces reconnues existent encore à l’heure actuelle et leurs degrés d’abondance respective sont sensiblement dans les mêmes rapports que le nombre des fragments de charbons qui s’y rapportent dans le lot examiné.
On peut admettre qu’autour du monument étudié se trouvait une forêt claire de chênes dont les clairières étaient peuplées d’ajoncs et où croissaient aussi, comme cela s’observe de nos jours dans les parties un peu humides la bourdaine et un saule qui est le saule cendré.
Il semble que la végétation, quant aux espèces, n’a pas varié en Bretagne depuis les temps préhistoriques. Cependant, à Men-Meur, les sables ayant recouvert toute la côte, la végétation arborescente a été refoulée beaucoup plus loin.
Le pin, actuellement en grande abondance, n’ayant pas été trouvé dans les charbons recueillis, on peut sans doute encore admettre qu’il a été introduit dans la région à une époque postérieure à l’érection des monuments mégalithiques.
Les dents
L’examen des quatre couronnes sans racines, trouvées lors des fouilles, par le Docteur SIFFRE, Directeur honoraire de l’Ecole Odonlotechnique de Paris, indiquent qu’il s’agit de jeunes dents qui n’ont pas du avoir leur apex terminé, sans doute les dents d’un très jeune sujet féminin de 10 à 12 ans. Des organes dentaires trouvés ultérieurement confirmeront cette hypothèse (formation des dents non terminée et usure).

Le Guilvinec à l’époque préhistorique

Pour compléter les renseignements que nous a apportés la mise au jour de l’allée couverte de Men-Meur, il faut rappeler d’autres découvertes qui ont eu lieu depuis, à l’occasion de travaux portuaires ou de tempêtes. Pierre-Jean Berrou nous en fait une synthèse :
« L’estuaire du Guilvinec constituant un abri naturel a certainement connu une occupation préhistorique assez ancienne. Malheureusement la remontée des eaux de la mer à la fin de l’époque glaciaire a probablement détruit les campements des premiers pêcheurs et mangeurs de coquillages installés sur les rivages. De petits outils de silex ont été découverts dans le sable qui a été extrait du port lors du creusement du chenal. L’un d’entre eux, finement taillé, devait être un élément de harpon dont le manche en bois a disparu, (âge : 8000 ans au moins).
Sous la plage de Men Meur au Guilvinec est apparu après une tempête en l’an 2000, un site d’habitat néolithique qui, sur 50 m², a révélé de nombreux tessons de poterie ancienne fragile – la vaisselle cassée de nos ancêtres – et de nombreux silex ainsi qu’un poinçon en os (site étudié actuellement par l’archéologue départemental Michel Le Goffic). »

Quels renseignements peut-on tirer de ces déterminations ?

Le paysage et le cadre de vie

Avant de tirer quelque conclusion des indices livrés par la fouille de l’allée couverte de Men-Meur, il paraît souhaitable de comprendre les évolutions qui ont eu lieu pour imaginer la situation de ce site par rapport à la mer :
“Le niveau de la mer, qui avait baissé de 100 m lors de la dernière glaciation, est remonté progressivement jusqu’à son niveau actuel pour redescendre entre 5 et 8 m plus bas entre 4500 et 3000 ans av. J.-C. Par la suite, durant le Néolithique final et l’Âge du Bronze ancien et moyen, entre 3000 et  1200 ans av. J.-C., un mouvement de transgression (montée des eaux) ramène la mer à un niveau proche de l’actuel et inondant certains habitats littoraux anciens. Cette remontée progressive du niveau marin reprend à l’Âge du Fer et se poursuit à un rythme décroissant jusqu’à nos jours.” (Yvan Pailler)
Ceci est confirmé par la situation de plusieurs menhirs du département du Finistère, en partie immergés , comme celui de Penglaouic dans la mer (rivière de Pont-L’Abbé) ou celui de  Léhan dans un étang (Léchiagat).
Avec une forêt de chênes qui serait plutôt située en arrière, des landes avec de l’ajonc, des zones humides marécageuses bordées de saules à l’arrière de dunes à un niveau plus bas qu’aujourd’hui, l’allée couverte devait se trouver à 300 ou 400 m du rivage, bien visible sur une ligne de crête et devait, de ce fait, bénéficier d’une bonne visibilité, à l’arrière du grand rocher dominant la pointe (Ar Men Meur).
On peut imaginer que celui-ci, outre son rôle de vigie et de poste d’observation privilégié, pouvait très bien servir à abriter un habitat d’été (cabanes ou tentes) des vents dominants, tout comme l’allée couverte, qui a visiblement été l’objet par la suite d’une occupation humaine avec foyer et restes de coquillages accumulés.

La vie quotidienne

Au néolithique, les principales activités sont la chasse, la pêche et les cultures (aucun indice d’élevage ici). Sur la côte, on peut rajouter la cueillette de coquillages et, pourquoi pas, d’algues. La fabrication d’ustensiles de cuisine (préparation et conservation des aliments) en poterie est facilitée par l’abondance de l’argile dans les marais ( toullou pri ).
Une autre activité, qui devait leur prendre énormément de temps, est la fabrication des outils et armes : harpon avec pointe fine en silex taillé ou hache en pierre polie. Le poinçon en os indique des travaux de couture dans l’utilisation des peaux pour l’habillement et la protection contre le froid dans les habitations.
Le matériau pour le feu ne manque pas : chêne, saule et ajonc. Le bois était-il uniquement utilisé pour le feu ou était-il travaillé ? Était-il utilisé brut pour la construction des cabanes ? L’écorce avait-elle une utilité ? Peut-on imaginer qu’au bord de la mer, les hommes, à cette époque, avaient tenté de naviguer, en creusant des troncs, par exemple ? Pour toutes ces questions, faute de preuves concrètes, on n’a aucun élément de réponse localement, mais on sait qu’ailleurs c’était possible, selon Yvan Pailler : « À ce jour, aucune embarcation néolithique n’a été découverte en Bretagne. Toutefois, l’emploi de pagaies est reconnu dès le Mésolithique en Grande-Bretagne et au Danemark ; des pirogues monoxyles existent également pour cette période en Haute-Seine. Pour la période Néolithique, des pirogues monoxyles sont également connues à Paris dans le secteur de Bercy et à Bourg-Charente aux abords de la Charente. »

Qui était la “princesse” de Men-Meur?

Les habitants, dont on ne sait pas grand-chose, sauf qu’ils ont été les constructeurs des mégalithes et ensembles mégalithiques qu’ils nous ont laissés, avaient pour alimentation principale les céréales broyées dans un mortier et cuites sur le feu dans un récipient en terre. Ils « cuisinaient » également coquillages, poissons, mammifères et sans doute oiseaux de mer.
La jeune personne de 12 ans dont on a retrouvé les restes a certainement été « ensevelie » après une cérémonie rituelle. De quoi est-elle morte ? Un accident, une maladie, un meurtre, ou un sacrifice humain ? Rien ne nous permet de le savoir, sauf à penser que c’était peut-être une sorte de « princesse », fille d’un chef d’une tribu dominante, compte-tenu du lieu d’inhumation et des offrandes rituelles déposées dans la tombe.
Autre question : y a-t-il interaction entre ce monument avec les autres sites mégalithiques du secteur proche ? On peut se demander si le menhir de Lanvar, le site de Saint-Trémeur, le tumulus de Poulguen, le dolmen de Kersidal, les mégalithes du Ster Poulguen, le menhir de Léhan, celui du Reun, etc… ont été érigés par le même peuple. En tout cas, ils devaient être nombreux, car pour monter ces monuments, il a certainement fallu des dizaines voire une ou deux centaines de bras.

Sources :
gallica.bnf.fr / Bibliothèque de l’INHA / coll. J. Doucet, 2010-76550
gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Sciences et techniques, 8-G-1331 L’anthropologie Paris 1928
Société Archéologique du Finistère – SAF 1927 tome 54 – Pages 48 à 72 http://le-finistere.org L’ALLEE COUVERTE DE MEN-MEUR (GUILVINEC)
Note de M. GUINIER, Directeur de l’École Nationale des Eaux et Forêts, sur les charbons recueillis dans l’allée couverte de Men-Meur.
Note de M. le Docteur SIFFRE, Directeur honoraire de l’Ecole Odonlotechnique de Paris, sur les dents recueillies dans l’allée couverte de Men-Meur.
Pierre-Jean Berrou sur les sites web officiels des communes du Guilvinec et de Treffiagat
http://www.academia.edu/3048264/Une_régression_marine_au_Bronze_final_en_Bretagne_
(Yvan Pailler et al) http://pageperso.univ-brest.fr/~suanez/Pg_publications/PUB_pdf/2011Norois.pdf