Les cinquante ans des Sonerien DU

Gilles Simon vient de commettre un ouvrage très complet, bien illustré par des photos d’archives, sur les cinquante ans de « carrière » du groupe « Sonerien DU » (Éditions AGLD – Roland Chatain). L’auteur y retrace avec précision les différentes étapes de la vie du groupe de « sonneurs du Pays bigouden », les DU en raccourci. Sa lecture permet aisément de comprendre les différentes évolutions qui ont eu lieu au fil des années, avec le passage au professionnalisme, le départ ou l’arrivée de certains musiciens.

Éditions AGLD

Roland Chatain, Route de Kerigou, Kermatheano, 29120 Plomeur 06 33 25 11 21

A moitié-route (logo Fanch Le Hénaff – affiche collection CL P)

Cependant, il y aurait probablement « moyen » d’en rédiger un deuxième volume, en interrogeant les « fans », les amateurs de festoù-noz, les organisateurs, les journalistes, etc … avec un corpus de témoignages « venant d’en bas » et qui contribueraient, j’en suis certain, à encore mieux connaître l’essence du phénomène DU, sans rentrer dans la sociologie pure et DUre, mais pourquoi pas, après tout ? Je vous livre ici un certain nombre de souvenirs qui restent gravés dans ma mémoire.

Pour ma part, bien que n’étant pas spécialement danseur, j’ai participé à de nombreux festoù-noz, comme beaucoup de ceux de ma génération. Le fest-noz était devenu le lieu de rencontre pour les jeunes, gars et filles, et supplantait à toute allure les bals, en perte de vitesse. Il faut croire aussi que le cidre et le chouchen étaient plus appréciés que la Kro et le gros rouge. A tel point que le traditionnel bal de la classe (classe d’âge pour le service militaire) a été remplacé par le fest-noz de la classe dès 1973.

C’était l’époque où Servat, Stivell, et, dans une moindre mesure, Tri Yann (on n’appréciait pas trop leur phrasé en breton qui faisait un peu « accent parisien »), représentaient pour nous la révélation de notre culture, de nos racines bretonnes et bigoudènes. Quelque chose de caché jusque là était mis en lumière par la musique. Une de mes arrière-grand-mères de Treffiagat — mais je ne l’ai appris que bien plus tard par ma mère — chantait aux veillées les trente couplets originaux de la gwerz « Tri martolod yaouank », créée par des marins de Léchiagat et popularisée par Alan Stivell, mais en version raccourcie.

Quelques années plus tôt — j’avais 15 ans —, nous avions accueilli, avec le club de jeunes de l’Amicale Laïque, un concert du harpiste, accompagné de son guitariste, barbu et chevelu à l’époque, Dan Ar Braz, au château de Kergoz de Guilvinec. A la mi-temps, pour se faire pardonner de son retard et quelques petits problèmes, Stivell, grand seigneur, avait payé une tournée générale. C’est là que j’ai bu mon premier verre de chouchen, peut-être l’acte symbolique de la prise de conscience d’une identité plus ou moins latente.

Pour revenir aux Sonerien DU, j’étais du premier fest-noz sous chapiteau place de la République à Pont-l’Abbé en mai 1973, une vraie réussite qui a marqué durablement les esprits en créant un « trait d’union » entre tous les participants. Suite à cet événement, j’avais copié leur premier disque sur une cassette qui passait en boucle sur l’autoradio de ma 4-L et, en allant à la plage, tous mes passagers reprenaient en chœur « Jean-Marie, il est malade » et autres tubes. Cette première période des DU avait vraiment créé un phénomène populaire qui permettait à beaucoup de s’identifier à ce retour aux racines, favorisé certainement par l’ambiance post-événements de Mai 68.

Un des premiers disques des DU

Les premiers musiciens :

Didier Quiniou, de Pendreff en Plomeur, ami d’amis bretonnants, dont Marc Andro de Penmarc’h, actuel adjoint au maire de Quimper, qui m’ont fait connaître le groupe.

Dany Tanneau, marchand de fringues chez Madec à Pont-l’Abbé.

Gilles Rolland surnommé le « Giscard bigouden de l’accordéon », mais seulement pour la forme de son crâne, car il jouait bien mieux que le Président.

Raymond Riou, le Glenmor bigouden, à la guitare toujours placée haut, presque sur l’épaule.

Yann Kaourentin ar Gall rencontré à un fest-noz trad au manoir de Kernuz ; au début, je trouvais sa musique un peu « rezenn hir », répétitive, criarde et agressant les oreilles au bout d’un certain temps. Plus tard, j’ai compris la qualité du sonneur et fabricant d’instruments lors d’une rencontre avec le brestois Bruno Falc’hun, lui aussi sonneur, qui confiait la réalisation de ses instruments à Yann Kaourentin ar Gall qu’il considérait comme le « Jimi Hendrix » de la bombarde traditionnelle.

Yann Goas, de Châteauneuf du Faou, un étranger chez les bigoudens, mais qui s’est imposé par ses compétences, reçu premier au concours d’entrée.

Gégé Belbéoc’h, un penn-sardinn acclimaté, vu en 1989 au défilé des Gras pour les 200 ans de la Révolution, en uniforme d’époque bleu-blanc-rouge, evel just, et cheval en carton-pâte, jouant du tambour (comme c’est bizarre !); j’ai la preuve !

Pour Jean-Pierre Le Cam, deux images me reviennent : bien « fatigué » sur scène lors d’un réveillon chez Béné à Tréguennec, il se fait botter l’arrière-train à coups de boutou koat par Dan ar Braz. Au fest-noz de la Coudraie à Tréméoc, en août, j’allais voir Jean-Pierre à la mi-temps pour lui demander d’annoncer au micro sur scène celui de notre club de foot qui avait lieu à Kergoz une semaine plus tard. Avant même d’avoir pu lui serrer la main, il me tendait d’office un verre de chouchen bien rempli.

Jean-Pierre Le Cam en animateur

Un musicien oublié dans le livre — mais peut-être n’a-t-il pas beaucoup joué avec eux —, c’est Paul Wright qui avait inventé l’appellation « Sex Pistolerien DU ». A ce propos, d’autres surnoms leur ont été donnés, les « Ce n’est rien DU … tout » (mon ami Béru) ou encore, pour certains puristes, au moment de leur passage au professionnalisme : les « Showbiz-nerien DU ». Et plus tard, mais peut-être sous l’influence ou la concurrence des Goristes de Brest, question poids sur la balance, les « Sonerien DoDUs ».

Dans les années 1980, un groupe de reggae nantais, « Apartheid Not », composé de musiciens d’origine africaine, se produisant très régulièrement au Rabelais du Guilvinec se vit également rangé dans la catégorie « Sonerien DU ». Mais, souvent, que ce soit après leurs concerts ou les festoù-noz, ce sont « ceux qui le disent, les mauvaises langues » qui étaient complètement noirs en fin de soirée.

Pour les organisateurs de fêtes estivales, en particulier les comités des fêtes et les associations, les festoù-noz avec Sonerien DU ou autres, ont constitué une aubaine pour remplir leurs caisses et assurer le budget de l’année à venir. Tous les lieux pouvant recevoir une certaine quantité de public vont être réquisitionnés. Affiches, tracts publicitaires, presse, tout était bon pour en faire la promotion. Et ça marchait ! La foule était au rendez-vous !

Les danseurs reprennent en choeur les paroles de “Chench tu Madeline, Madalen!”

La preuve, le fest-noz de la classe 74 de Guilvinec (ceux qui étaient nés en 1954 et qui devaient partir au service militaire à 20 ans) en août 1973 au château de Kergoz. J’en faisais partie et j’ai pris une part active dans l’organisation. Résultat, une belle recette qui a permis de financer trois repas au restaurant pour une bonne trentaine de personnes.

Un autre fest-noz, dont j’ai été la cheville ouvrière, est celui de l’Amicale Laïque de Guilvinec à la fin des années 1970 sous la criée. La fête, qui avait réuni plus de 1500 personnes, avait été filmée par Antenne 2. Le documentaire d’A2 avait pour thème « les phares et leur rôle pour les marins » ; un plan avait même été filmé au moment du retour des chalutiers à l’entrée du port sur le Pirn Bihan, le canot de mon père.

Le réalisateur était Jean Pradinas (qui avait travaillé avec Claude Autant-Lara et Igor Barrère). Fils d’instit’ des Cévennes, il m’avait confié qu’il connaissait bien l’écrivain Jean-Pierre Chabrol, ami de Per-Jakez Hélias, mon ancien professeur à l’École Normale de Quimper. Interpellé par le fait qu’un lieu de travail puisse devenir un lieu de fête et de culture populaire, il avait demandé à s’inviter pour fixer l’événement sur la pellicule. Ma minute de notoriété : un passage à la télé, au service derrière la buvette avec Henri Faou, employé de criée qui avait changé de casquette pour l’occasion.

Mais le fait de gloire qui me relie aux DU et que peu de personnes connaissent, c’est l’épisode qui a lieu une nuit de la fin juillet 1978. De retour à la gare de Quimper, après une année de service militaire dans la Sarthe, en sortant du train vers une heure du matin, je retrouve Lanig Bijer, un ami guilviniste, venant d’Angers. Tous deux avons décidé de faire les trente derniers kilomètres en stop. Nous avions le temps : « La quille ! Et caetera, … Toute la vie est à nous maintenant ! »

Le lieu idéal était le début de la route de Pont-l’Abbé, près du lycée Chaptal, mais aussi de la gendarmerie de Quimper. Nous ignorions aussi qu’en cette fin juillet 78, des procès d’attentats FLB avaient lieu au palais de justice de Quimper. Les CRS étaient partout et faisaient des rondes régulières, par crainte de problèmes. Mais, visiblement, les deux bidasses assis sur le trottoir, tendant le pouce chaque fois qu’une voiture passait, ne les inquiétaient pas outre mesure. Pas d’angoisse pour nous non plus !

Le temps passait et, enfin, entre quatre et cinq heures du matin, un gros fourgon blanc s’arrête : notre sauveur ! C’était Raymond Riou au volant, les autre musiciens dormant à l’arrière, de retour d’un fest-noz du côté de Lannion ! Sauvés les bigoudens ! Débarqués à Pont-l’Abbé, il restait encore douze kilomètres et il nous fallut attendre 7 heures du matin pour voir s’arrêter la DS du grand Georges, patron du Pub, le bar qui a fait connaître Brenda Wootton, la castafiore cornouaillaise d’Outre-Manche et ses « Demoiselles de Guilvinec ». Un quart d’heure plus tard, le slogan « la vie est à nous ! » devenait réalité pour de bon.

Kervazégan à la mi-août, toute une organisation !

Les DU, ce sont aussi de nombreux rendez-vous et autant de belles rencontres : l’incontournable, à Kervazégan, le fan club, les groupies, toujours au premier rang. Ou encore le traditionnel fest-noz du lundi à la taverne du Festival Interceltique de Lorient.

Une anecdote à ce sujet : le sympathique Nono Guiriec, photographe à Ouest-France et grand ami de Pierrot Guergadic et Jean-Pierre Pichard, président et directeur du FIL, avait pour habitude de monter sur la scène du pub pour “mitrailler” ses compatriotes bigoudens. Un ami facétieux, Jakez “Guinness”, pour ne pas le nommer, en avait profité pour défaire les lacets de chaque chaussure de Nono et les renouer ensemble. Et voilà notre paparazzi les quatre fers en l’air, sans dommage cependant ! Heureusement !

Du côté de Batz sur Mer en 1976, une énorme surprise pour nous, invités à un mariage chez des cousins croisicais. A ce fest-noz, nos bigoudens avaient adapté leur répertoire avec uniquement des tons à danser de Loire-Atlantique et du pays gallo ! Chechuch ! Kollet tout ar vigouterien ! On ne les reconnaissait plus !

Accompagnant ce phénomène populaire, en 1975, trois amis — Lanig Kervarec de Douarnenez, Guillou, dit le « petit vanneau » de Carhaix et HP Bernard, Tonton Henri, penn-sardin lui-aussi — ont eu l’idée de créer l’autocollant KGB (Les initiales de Kervarec – Guillou – Bernard, mais aussi Kollet Gant ar Boeson). Imprimé par Publi-Graphic, vendu 5 F dans tous les festoù-noz de la région, il va devenir un signe de reconnaissance des breizhoù bigoudens et d’ailleurs ou se rajouter aux caisses à instruments des musiciens.

Autre rencontre improbable, au hasard de mes pérégrinations en baie d’Audierne : les musiciens de différents groupes de fest-noz, invités chez Raymond Riou, quelque part dans la palue entre le Méjou Roz et Tréguennec, pour une rencontre conviviale avec, après les agapes, match de foot sur la pelouse et jeu de galoche bigoudène sur la route. Même les léonards de Bleizi Ruz venaient tous les ans !

Les Bleizi Ruz à Kervazégan en 2012

Pour en savoir plus :

Le site des DU

la page Wikipédia des DU, avec un petit bémol : les DU ne sont pas un groupe de chants de marins, comme indiqué en bas de cette page !