Marins d’eau douce

Où l’on voit pêcher des langoustines cuites et peindre des barques au ripolin

Il, Raymond de Nys, envoyé spécial du Petit Parisien sur la côte bretonne, s’aperçut l’autre jour avec tristesse que l’ennui régnait en maître dans nos ports de pêche. M. Raymond de Nys a bon coeur et cette neurasthénie générale le fit souffrir. « Il faut que je leur ponde un petit article humoristique, se dit-il, il les déridera un peu, ces braves. »

Et M. Raymond de Nys pondit, en effet, un article qui obtient le plus grand succès d’hilarité. On rit à se fendre la bouche de la pointe du Raz à l’embouchure de la Laïta. Car l’ineffable reporter vient de faire de trouvailles qui valent leur pesant de sardines.

Il nous assure d’abord que les volontaires des canots de sauvetage risquent leur vie pour se distraire, tout simplement. Ces braves garçons, voyez-vous, ne savent que faire de leurs dix doigts. Alors ils cherchent un sport un peu violent pour chasser leur spleen. Ça distrait, vous comprenez, d’être ficelé sur le banc d’un navire et d’attraper des paquets de mer en pleine figure.

Car, d’après M. de Nys, nos pêcheurs ne sortent que quand il fait réellement beau. Il leur faut une petite mer bien gentille. Donc quand le temps n’est pas au beau fixe, ces messieurs tiennent salon sur le mole, ils tiennent salon sans parler d’ailleurs et le silence règne. Aucun bruit ne trouble le silence de l’air, écrit M. de Nys. Voilà qui est fameux, le suroît souffle, la mer plaque ses embruns sur la jetée et l’on entendrait cependant, s’il y en avait en hiver, voler une mouche. Sans blague ?

Mais il y a mieux. cette phrase délicieuse du Petit Parisien :

« Hier soir, cependant, comme le crépuscule commençait, les voiles y rentraient, en longue file, découpant sur un ciel léger leur grande aile sombre. Sur le port, au bas de la cale, les femmes attendaient, avec des paniers, pour emporter la pêche.

Elles remontèrent bientôt une à une, lentes et tristes, portant une corbeille de langoustines roses, tandis que l’homme, ses bottes d’une main, s’était chargé du reste de son butin, une ou deux raies. »

M. Raymond de Nys n’a jamais vu que des langoustines cuites et sa candeur est telle qu’il croit que nos pêcheurs, les prennent au bain-marie au fond de l’océan.

Mais voici encore plus fort. Le distingué reporter fait dire à un matelot : « Il nous faudrait une boîte ou deux de ripolin pour l’éraflure faite au cours de la tempête à la peinture du bateau. »

Vous voyez d’ici la scène : le brave marin-pêcheur, muni d’une palette, d’un petit pot de laque blanc et d’un pinceau fin, étendant la fragile peinture sur la coque de la barque.

Ah ! cher monsieur de Nys, si vous saviez comme la vie est gaie en Bretagne depuis que les Parisiens écrivent des articles maritimes !

Ouest Eclair 20 01 1926