1858 Les marins-pêcheurs et l’eau-de-vie

Le Commissaire de l’Inscription maritime à Quimper, en décembre 1858, constatant « l’ivrognerie, l’abus de l’eau-de-vie, l’une des causes premières de la ruine et de la misère » des marins-pêcheurs, adresse une circulaire à ses adjoints des sous-quartiers de Douarnenez, Concarneau et Audierne afin d’enquêter sur les droits d’entrée de l’alcool, taxe encore connue sous le nom de « droits d’octroi », qui entrent pour la plus grande partie dans les caisses de l’Etat, le reste étant à la disposition des communes.
Partant du constat qu’ils « sont arrivés à boire une telle quantité qu’elle doit avoir une influence funeste pour leur santé et leur intelligence », le Commissaire recommande à ses adjoints « d’étudier sérieusement les habitudes de nos marins et de rechercher, aux points de vue physique et moral, les résultats qui sont occasionnés par une trop grande consommation d’alcool. »
Il pointe également du doigt le nombre considérable de cabarets ainsi que la baisse du prix de vente au détail de l’alcool.
Les retours de l’enquête concernant Douarnenez – Tréboul et Concarneau nous donnent des chiffres très parlants quant à la consommation alcoolique.
En 1858, on a absorbé 453,24 hl d’alcool pur à Douarnenez (4470 habitants dont 3000 marins-pêcheurs, femmes et enfants de marins) et 70 hl à Tréboul (1200 habitants dont 800 du milieu maritime).
A Concarneau, 2352 habitants dont 1802 appartenant à la classe maritime, 162,32 hl d’alcool ont été présentés à l’octroi la même année.
Si, par exemple, on évalue à 1500 le nombre de marins-pêcheurs (marins adultes et novices) à Douarnenez et si on considère qu’ils consomment l’essentiel de l’alcool comptabilisé ci-dessus, on obtient une quantité par personne et par an comprise entre 30 et 40 l.
Pour être objectif, il faut considérer qu’il s’agit là d’une fourchette haute. Mais, c’est quand même beaucoup si on compare ces chiffres avec la consommation actuelle. En 2012, on évalue à 12 l   la quantité moyenne annuelle d’alcool pur consommée par un français de plus de 15 ans.
Autre conséquence de cette alcoolisation massive des marins-pêcheurs lorsqu’ils sont à terre, l’impossibilité pour eux, outre l’habitude qu’ont les mareyeurs de leur payer en partie leur pêche en eau-de-vie, de conserver quelque économie, de « mettre de côté » un peu d’argent.
Voici le tableau, reflétant en partie la réalité et à la fois caricatural et insultant, que dresse le Commissaire de l’Inscription maritime de Quimper dans sa réponse au Commissaire Général à Brest au sujet des Associations de secours mutuels :
« En réponse à votre lettre en date du 15 décembre dernier, j’ai l’honneur de vous faire savoir qu’il n’existe, dans toute l’étendue du quartier de Quimper, aucune association de secours mutuels ou autres : il y en a une toutefois à Douarnenez, mais qui n’est qu’à l’état de projet, attendu qu’aucun marin n’en fait partie. Je vous adresse un exemplaire des statuts qui régissent cette société.
A Concarneau, Mr Alix a essayé et essaie encore de former une société de secours mutuels, mais jusqu’ici ses efforts sont restés sans résultats. Voici comment il s’exprime pour expliquer les difficultés qu’il rencontre :
1° Le peu d’intelligence des marins ;
2° Leur imprévoyance de l’avenir ;
3° et par-dessus tout, leur penchant à l’ivrognerie, penchant qui prend de jour en jour des proportions telles dans la population qu’il devient à peu près impossible de l’éclairer sur ses véritables intérêts.
Il y a lieu de reconnaître que la majeure partie de nos marins aime mieux dépenser ses épargnes au cabaret que de les déposer, en prévision de l’avenir, dans une bourse commune.
En un mot, l’ivrognerie est la plaie qui les ronge, qui les abrutit moralement et physiquement. Ces malheureux n’ont plus aujourd’hui qu’une idée quand ils ont réalisé quelques gains pendant la semaine, c’est de demander à l’ivresse leur unique récréation et d’y chercher le repos de leurs rudes travaux.
Et plus loin, il ajoute :
L’ivrognerie chez nos bretons n’est pas un défaut facile à extirper, c’est un vice du sang.
Cette opinion de Mr Alix est aussi la mienne et désormais toute position meilleure pour nos inscrits est impossible si l’on n’arrive pas à réprimer l’ivrognerie soit en frappant l’alcool d’un droit très élevé, soit en punissant correctionnellement. »
Pour information, sur un hectolitre d’alcool pur, les droits qui reviennent au Trésor (contributions indirectes) sont de 60 francs et selon les communes, de 4 à 10 francs pour l’octroi. Ces droits servent aussi de variable d’ajustement pour le budget communal : si de gros travaux ou des dépenses importantes sont programmés, le maire aura recours au Préfet pour une demande  d’augmentation de ces droits.
A la même époque, la douzaine de maquereaux est payée au marin de 4 à 10 francs.

Source : SHD Brest 3P2 2, correspondance départ du Commissaire de l’Inscription maritime de Quimper