Coco jette l’ancre

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14 Juillet 2004. TGV Paris-Brest. A bloc. La foule internationale et l’espoir d’un grand événement de six jours riches d’une rencontre maritime devenue incontournable.

Sacs à dos, matériel de camping, sacoches photo et vidéo. Groupes ou couples de jeunes bobos et bcbg déguisés en matelots d’occasion. Routards et teufeurs lookés techno-simili-crades.
Plus quelques familles avec enfants délurés et chamailleurs.

Dans le tas, un homme seul, la soixantaine approchant, mais physiquement bien entretenu, l’air complètement détaché de l’actualité manifeste du moment :

Coco Molenez, ancien « Fus-Co » de la Marine, look Manu L., chanteur des îles d’Iroise à la voix rocailleuse comme les brisants incessamment bombardés de vagues et d’écume de toutes les mers du monde.

Teint cuivré sur gueule carrée, boucle d’oreille, regard noir, casquette blanche portant ancre de marine, caban noir avec boutons dorés. Voyageant toujours avec son sac marin.

Recyclé à Toulon comme veilleur de nuit après 25 ans d’opérations secrètes et bavures en tous genres pour les services spéciaux de la Royale. « Stages » réguliers à Quélern, Aspretto, … avec travaux pratiques du côté d’Auckland (mais pas pour admirer les arcs-en-ciel…) .

De retour au pays pour une dernière mission privée et bien ciblée, avant de profiter d’une retraite bien méritée.

Gare de Brest. Le TGV dégueule ses passagers pressés. Débarquement. Au bout de la ligne.
Fin de tous les voyages. Finistère. Finis Terrae. Le commencement de la mer ?
Pen Ar Bed, fin du Monde ou fin du monde ? … et début d’un autre, départ vers le large, vers d’autres aventures, qui le sait ?

Enfin, une chose est sûre: dans moins d’un quart d’heure, Coco aura rejoint le « Squale » au port Moulin Blanc et les détails de la réalisation du contrat seront définitivement mis au point :

Déplacements minutés sans laisser une seconde au hasard. Anticipation des scénarios possibles selon les réactions du « client ». Gestes programmés. Neutralisation possible des témoins. Puis fuite naturelle, en souplesse, dans la foule. Ni vu, ni connu. Le boulot accompli.
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Sur les quais noirs de monde du « Port de » (port de commerce, selon l’appellation traditionnelle des travailleurs portuaires), comme chaque soir, JFK (Jean-Fanch Kergoat), immense auteur de romans à l’issue toujours fatale, et son épouse, Marianne, font leur promenade digestive.

Rencontrent un photographe qui vient mitrailler le feu d’artifice de la Fête Nationale. S’arrêtent pour bavarder. Sujet : le lancement dans les jours à venir du dernier ouvrage sorti de la plume assassine de JFK, « La nuit, … le livre dort. »

Un homme s’approche de JFK. Fait mine de lui demander un autographe. Lui glisse quelques mots à l’oreille. C’est Coco, un objet à la main. Une sorte de pistolet. Pointe l’engin sur JFK.

Tout va alors très vite : une détonation inaudible parmi l’explosion en chapelets des belles bleues et des belles rouges du bouquet final. Il est minuit. Les sirènes du port se joignent au vacarme ambiant.

JFK porte ses mains à son visage et s’écroule, une cartouche en pleine tête.
Une cartouche d’encre noire explosée à bout portant. Un jet puissant. L’homme vient de jeter l’encre pour la dernière fois. Définitivement.

Coco laisse tomber un livre aux pieds de JFK avant de s’enfuir et de se fondre dans la foule pour prendre son VTT garé Rue de Madagascar et rejoindre, au ponton du Moulin Blanc, le « Squale», son fidèle voilier, repaire du vieux pirate désormais en retraite.

C’est l’affolement sur les quais. Personne n’a vraiment vu l’auteur du jet ni pu empêcher sa fuite. Tous les témoins sont dubitatifs. Le célèbre auteur, rescapé de ce coup de folie, pourrait peut-être les éclairer ?

JFK peine à reprendre ses esprits. Ses lunettes auraient besoin d’un bon coup d’essuie-glaces. Sa face habituellement souriante est figée par un masque gluant et noir comme celui qui s’échappait de l’Amoco.
Il arrive cependant à distinguer sur la couverture du livre :

Corentin MOLENEZ
« Coco jette l’ancre à Brest »

Le lendemain, Coco savoure le titre du quotidien local: « Scène de roman à l’encre noire pour JFK» et lit, dans un petit encart :
Les Editions « La mer à Boire » de Loctudy présentent le premier roman noir explosif d’un nouvel auteur au talent prometteur, « Coco jette l’ancre à Brest », de Corentin MOLENEZ dans la collection « La seiche n’est pas encornet »

Le « Squale » quitte le ponton : cap sur le grand large. Jamais l’horizon n’a été si proche. Dernière ligne marine …

Ecrits de mer pour Brest 2004, publié dans Ouest-France juillet 2004