René Le Bihan, né le 15 mars 1937 à Lambézellec, s’est éteint à Brest ce matin du lundi 12 mai 2025, à l’âge de 88 ans. Il aura occupé les fonctions de Conservateur du Musée des Beaux Arts de Brest de 1964 à 2002.

Il y a une douzaine d’années, il avait bien voulu confier ses souvenirs d’enfance au journal Kériniouzes (Comité de quartier de Kérinou).
René Le Bihan : Naître à Kérinou juste avant la seconde guerre mondiale et y vivre son enfance
Voici les notes prises par les rédacteurs :
« Malgré l’épaisseur des temps qui nous séparent de cette époque, les souvenirs de René Le Bihan sont d’une précision extrême.
Kérinou : ses racines y sont fortement ancrées, car sa mère et sa grand-mère y sont nées. Son père, lui, vient de Recouvrance. À la différence de Lambézellec , c’est un quartier d’ouvriers et d’artisans. De nombreux ateliers ou commerces, des maisons sans confort, sans eau, sans évacuations, on monte sans ascenseur au troisième étage, des rues pavées, une odeur persistante venant des anciennes tanneries derrière la poste.
Premier flash : le temps d’Adolf
La famille est logée sous les toits, au dernier étage de l’immeuble dont le rez-de-chaussée est aujourd’hui occupé par la crêperie « Diwali ». René a un peu plus de trois ans. Le cri de sa mère le réveille : « Ils sont là ». À la fenêtre, elle regarde. Le petit garçon se hisse sur son tabouret pour voir passer sous la fenêtre un tank avec son canon hyper long.

D’autres images
Si l’armée d’attaque des Allemands était bien équipée, intendance et services l’étaient moins. Ils avaient des bourricots, chevaux courts et hauts sur pattes. Le jeu favori des enfants, passer entre les pattes des chevaux endormis, une fois même « piquer » le fouet puis aller gentiment le rendre. Un de ces bourricots s’est retrouvé après la guerre, au service d’une dame de Bohars qui livrait le lait dans de grands bidons d’aluminium gris.
Des images sonores
Les bombardements. Conseil du Maire : « Allez vers le lavoir ! » En fait, on restait chez soi. D’abord l’attente. Puis tout s’éclairait : des faisceaux prodigieux, un feu d’artifice de balles traçantes dans un bordel de bruit, une maison qui s’écroulait. Le bombardement était passé.
18 novembre 1943 : des bombes anglo-américaines tombent sur l’hôpital de Brest (un blessé léger) et un avion américain touché par la DCA allemande s’écrase à Kérinou sur les marronniers près de la chapelle. Un morceau d’aile, brisé lors de l’atterrissage forcé, emporte une partie du toit du logement des Le Bihan. La maman, affolée, va voir dans la chambre du petit ; dormant à poings fermés, malgré le froid et le bruit, il ne s’est rendu compte de rien. Malgré tout, il l’a échappé belle !
Les cris des résistants torturés à l’école Bonne Nouvelle, où la Gestapo avait établi son QG.
Mais en 1944, il a fallu décaniller.

L’après –guerre
Les expéditions à Kérédern : on allait y récupérer le bois des tranchées, des troncs entiers de pin blanc qu’on chargeait dans des chars à banc ou des brouettes. Bien sûr les gendarmes surveillaient mais le temps qu’ils arrêtent un ou deux contrevenants, les autres filaient avec leur chargement.
Les enfants, eux, récupéraient des balles que les pères avaient vidées de leur contenu explosif. Ils pouvaient aussi trouver et garder précieusement ces petits drapeaux jaunes triangulaires avec une tête de mort.
Les accidents de transport du vin dont on avait été si longtemps privé. Du port de commerce des camions remontaient des barriques de vin. Au moindre cahot, barriques dans le caniveau. Adieu barrique et bon vin ? Non, bonnes gens de se précipiter avec bassines, brocs, récipients de toutes sortes pour sauver le précieux liquide. D’aucuns même n’hésitaient à le laper. Le chauffeur avait beau crier « Touchez pas, c’est pas à vous ! »
L’accident du douanier : pèlerine de drap au vent, il descend à vélo vers Kérinou. Gêné par un véhicule, il tombe, le sang coule, on appelle les pompiers ; soulagement, en fait de sang les deux bouteilles de vin dans ses poches n’avaient pas supporté le choc.
Petits événements : inauguration du trolley en1947, on y montait sans difficulté la petite sœur dans sa poussette, les petits incidents avec les perches, la publicité de Dubonnet, les courses cyclistes, l’élection du roi de Kérinou .
L’école
L’histoire du grelot ? Trouvé quand René Le Bihan a été enfermé dans la cave de l’école après avoir fait une bêtise. Il l’a conservé.
L’école de Keralloche( École des garçons/École des filles) « vous apporterez des bûchettes » a dit le Maître du CP ». Pour quoi faire ? pensent les enfants. Les parents le savent. Le père part couper des branchettes, leur donne forme. Pendant ce temps maman confectionne un joli sac de tissu sur lequel elle brode les initiales de l’enfant R.L.B. A l’école le petit sac sera accroché à une pointe. Une bombe a touché l’école « Adieu l’école et les bûchettes ! »
L’école place de Strasbourg des baraques en panneaux de fibro-ciment, les mêmes que pour les clapiers des lapins.
Le collège moderne appartenant à la ville : études et fournitures étaient donc gratuites
Le lycée et la distribution des prix : le lauréat avait une brouette pleine de livres
Prémices d’une carrière
Un grand-père, héros des Dardanelles est peintre. La visite des ruines du Musée. Restent poutrelles et une accumulation de masques à gaz ; des images qui impressionnent : un grand mur avec l’image d’un diable rouge au corps floconneux et cette inscription : « Oui à la ouate thermogène ». Une autre image publicitaire : une lune noire qui recouvrait un croissant blanc. Plus tard, la visite du Musée de Quimper finira par confirmer la vocation de toute une vie à venir. »
Souvenirs recueillis en 2012 à la Ferme Jestin par Antoinette Massé et Claude Péron
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