Breton : la langue des marins ou la langue des intellos ?
À l’entrée du « pitit pont », deux écriteaux bleu marine portent chacun une inscription en lettres blanches : « Bateaux visitables. Bagoù da weladenniñ » et « Embarquement Voiliers traditionnels. Lestrañ gouelier giz gwechall ».
Sur les affiches de la fête, on a inscrit « Gouel ar bigi Brest » pour « Fêtes maritimes de Brest ». Qui a proposé ce « bigi » ? Probablement un marin des bords de l’Hyères — rivière qui coule dans la capitale du Kreiz Breizh, là où se trouve le siège de l’« Académie » de la langue bretonne — un marin d’eau douce qui n’a jamais navigué sur la mer. Car, oui, dans nos ports de pêche, les bretonnants natifs n’emploient que le mot « bagoù » pour le pluriel de « bag » et ce, depuis des décennies, voire plus.
De la même manière, la plupart de nos animateurs et journalistes bretonnants de France Bleu Breizh Izel et leurs invités ont donné fréquemment du « bigi », en direct de Brest. Mais curieusement, lorsque la fête s’est transportée à Douarnenez (où il reste encore une véritable culture maritime et bretonnante), on a entendu tout naturellement « bagoù » dans la bouche de la grande majorité des interlocuteurs.
Alors, « bagoù » ou « bigi » ?
« Bagoù » est le mot connu de la plupart des marins bretonnants (qui n’ont pas appris la langue à l’école, mais par transmission familiale ou sociétale). « Bigi » est un terme de la littérature écrite employé surtout par les néo-bretonnants, appris dans les livres, les livres de messe et les dictionnaires.
Ce mot, tout comme « bageier », autre dénomination littéraire, a probablement été inventé, selon l’expression de Yves Le Gallo, par un « marin de bord de Vilaine » qui, bien ancré sur le plancher des vaches, préférait l’abstraction des lettres aux vagues de l’océan.
On peut faire à ce « marin » le même reproche que celui fait à la mauvaise prononciation de kouign amanne au lieu de kouign aman-n. N’eo ket gwir, paotred ha merc’hed Douarnenez ?
À lire, entre les lignes
Notre quotidien national brestois, « le journal », Le Télégramme s’est encore singularisé par son ignorance de la convention typographique qui veut que les noms de bateaux soient écrits en italique. Et ce n’est pas nouveau ! On me rétorque que c’est à cause du logiciel de mise en pages qui est formaté de cette manière. Je répondrai qui sont les hommes qui décident de cela ? Pas des marins ou des amoureux du patrimoine maritime ! C’est une certitude : la technologie informatique dévore l’humain, au service de quoi ? Posons-nous la question !
Quelle platitude de voir leur personnalité, leur identité, à nos navires, réduite en visibilité. Placés au même niveau que le reste du texte, noyés dans la masse, il faut avoir de bons yeux pour les distinguer. Un certain manque de respect pour ceux qui sont, avec les marins qui les montent, les éléments centraux de ces Fêtes maritimes ! Messieurs du Télégramme, changez de logiciel s’il vous plaît ! La plupart de vos concurrents, eux, n’ont pas abandonné cette convention, bravo à eux !
Après les messieurs du Télégramme, les dames sont à l’honneur (ou devraient l’être) : on a pu lire dans un article de Zoé Gachen du 16 juillet 2024 : « Les femmes font leur trou dans l’eau !! ». Sachant que l’expression « faire son trou dans l’eau » a pour synonymes : couler (pour un navire) ou mourir (pour un marin), on peut se demander quel est le niveau de connaissance de la langue des marins exigé par notre journal pour accepter la publication d’un tel contresens par une jeune journaliste (et sans vérification de sa hiérarchie). Son objectif était certainement de valoriser une jeune femme face à de gros mecs lourdauds — l’intention est forcément louable —, mais qui tombe complètement à l’eau, c’est le cas de le dire, au sens propre et au sens figuré !
À boire : « Peu importe le prix du flacon, … ! »
Exception faite du bar de la Confédération paysanne, votre verre en plastique siglé des Fêtes, consigné 1 euro, (en principe) rendu avec le retour du récipient vide, faisait l’objet d’un achat obligatoire dans la plupart des bars extérieurs de ceux du quai ou chez les brasseurs. On peut se poser la question de la légalité du procédé qui pourrait s’apparenter à de la vente forcée ! Ou aussi celle du détournement de l’esprit de cette manière de faire, inaugurée, il y a quelques dizaines d’années par les « Vieilles charrues » ou autre festival, dans une optique écoresponsable ?
Le prix des bières (demi ordinaire) est rarement en dessous de 3,50 euros — mais plutôt à 4 euros, voire 4,50 —, sauf au pub Mac Guigan’s où j’ai pu commander au bar intérieur une Coreff ambrée à 2,70 euros, le prix habituel. Bravo aux irlandais ! Une belle économie, sans taxe et avec le sourire !
À manger
À l’exception de nos amis anglais avec un atelier de fumage de harengs, personne n’a eu la bonne idée (logique et évidente pour une fête maritime) de proposer la dégustation de produits de la mer : sardines, thon, maquereaux ou autres poissons locaux. Juste à signaler, un timide « sardines and chips » devant la criée. Une nouveauté remarquée (surtout pour le prix de 20 euros la part alors que le kilo en juillet, à la criée, était en moyenne compris entre 10 et 15 euros), les langoustines-frites, une association quelque peu « hérétique » pour les connaisseurs de la « demoiselle de Guilvinec ».
Par contre, on trouvait partout de nombreux stands de bouffe standard qu’on aurait très bien vu figurer au marché de Noël ou lors de kermesses ou autres foires-expos diverses, avec une propension au sucré. Après le Brexit et la casse des chalutiers ici-même, à 200 m du site de la fête, on aurait pu imaginer voir une opération solidaire organisée conjointement avec les marins-pêcheurs pour une mise en valeur forte de leurs produits.
Guerre et paix : un regret, le rejet du Shtandart
Là aussi, la solidarité n’a pas pu s’exprimer face à la raison d’État, malgré la bonne volonté affichée par la Ville de Brest, les organisateurs de la Fête et le soutien de tous les authentiques marins.
Lire le point de vue de l’association de marins « Mor Glaz » ainsi que celui de Hervé Hamon dans le Télégramme.
En guise de conclusion,
Un constat se confirme depuis quelques éditions : le marin est de moins en moins au centre des Fêtes maritimes de Brest. Il le pense, il le dit et, pire, souvent ne vient plus avec son bateau, se contentant de l’ambiance de Douarnenez ou d’autres rassemblements plus respectueux de l’humain naviguant.
S’il n’est pas ignoré, il n’en est pas moins marginalisé, voire utilisé comme faire-valoir. Une véritable fête est celle où les participants se prennent en main et en sont les principaux acteurs et non les spectateurs plantés ici et là pour faire décor.
Souvenez-vous des Paganiz (les Païens), la pièce de théâtre de Tangi Malmanche, magistralement interprétée sans répit tous les étés au village de Meneham à Kerlouan par la troupe du Strollad ar Vro Bagan de Goulc’han Kervella. Ce morceau d’anthologie de la culture bretonne et maritime nous rappelle de manière symbolique ce qui constitue justement le fondement de l’attachement des Bretons à la mer. A mettre en parallèle avec le constat précédent pour comprendre cet attachement.
Les Arvorizien, les habitants du bord de mer, revendiquent la légitimité du « lagan », la grande loi suprême de la mer, persistance d’un droit ancien révoqué par les ordonnances de Colbert de 1681. Et c’est dans cet esprit, me semble-t-il, qu’il faut situer le ressenti négatif des marins vis-à-vis des Fêtes maritimes brestoises.