BR 2024, carnet de bord d’un promeneur brestois J 6

J 6 mercredi 17 juillet

Dernier jour avant la grande régate qui va mener les bateaux d’une fête à l’autre, le « retour de noces » de Brest à Douarnenez, selon l’expression des « penn-sardin » farceurs qui désignent ainsi son prolongement dans le port sardinier. Quittant la rade pour la baie, l’« armada » va contourner les trois pointes de la croix que forme la presqu’île de Crozon.

Cette fois-ci, pour le troisième jour de mon abonnement — les « cartilages de mes genoux ayant bien chauffé » le lundi, selon l’expression de Gaétan, mon kiné, qui n’est cependant pas inquiet pour moi — j’ai décidé de réduire le temps de marche. Arrivé en voiture près des halles de Recouvrance, 10 minutes à parcourir à pied suffiront pour rejoindre la porte Jean Bart.

En Penfeld, la pirogue baleinière — Eh oui, ça existe ! Et ça vous épate ! — Sterenn de Lanester, qui peut naviguer à voiles, à rames ou à la pagaie, fait sa belle en paradant devant un joli canot vert bouteille gréé en sloop.

Sur le quai, au Fablab Iroise, c’est le bonheur pour les petits et grands Géo Trouvetout, chercheurs prolifiques jamais rassasiés de traficotages et d’inventions : « The right place to be ! » En effet, le Fablab affiche clairement sa philosophie : « Partager, concevoir, apprendre et réaliser ».

Au pied de l’ancien 2e Dépôt, caserne des équipages, le chasseur de mines Andromède se visite. Au-dessus, l’immeuble bientôt cédé à la Ville, a été investi par une joyeuse bande d’artistes qui ont mis au point l’opération « Brest au rendez-vous », une série d’animations du lieu du 5 au 17 juillet. Des plasticiens facétieux ont eu l’idée d’u installer une bonne douzaine de tentacules géants de céphalopodes rouges, verts ou bleus, sortant d’autant de fenêtres et prêts à capturer tout ce qui passe à leur portée. De quoi traumatiser une nouvelle fois les grands travailleurs de la mer Hugo et Gilliatt !

Un groupe de scouts (louveteaux) défile sans ordre, un peu décontractés avec tous leurs écussons cousus sur le dos, sans se prendre pour Tonton Cristobal ! Ils sont suivis de peu par un fourgon de premiers secours de l’Ordre de Malte France, siglée d’une croix blanche sur fond rouge. Encore des gens indispensables !

Sous le tunnel, la foule déboule ! A la sortie, porte Surcouf, le point de vue sur le Parc à Chaînes et le monument américain et ses pins parasols voisins en surplomb surprend le brestois moyen qui n’a jamais l’occasion de passer ici. Le photographe n’a pas, lui non plus, l’occasion de cadrer cette vue sous cet angle avec, en premier plan, une barrière blanche et rouge, surmontée du drapeau tricolore. Un couple LGBT, main dans la main, contemple le bâtiment Barracuda et les promeneurs.

Je me dirige vers la marina du Château et la digue Lapérouse où le mouvement des bateaux de la fête est le plus visible avant une petite régate en rade. Mais, là, pour aller les voir de plus près encore sur l’eau0, c’est une autre affaire car il faut trouver un embarquement ! Sur le mur Ouest du bâtiment des Phares et Balises, l’exposition des « Portuaires », grands personnages du port dessinés, peints et collés par Paul Bloas, voit défiler des milliers de personnes et la digue est noire de monde. Seuls les mâts des grands navires de la fêtes dépassent de cette masse, comme des grands arbres au-dessus d’une forêt.

Les photographes — je ne parle pas de ceux qui capturent des images par le biais de leur téléphone — s’en donnent à cœur joie ! Je précise qu’un « vrai » photographe se reconnaît au fait qu’il colle son œil au viseur d’un Canon ou d’un Nikon, de préférence (les deux derniers fabricants d’appareils photos avec une véritable optique). En bref, quelqu’un qui sait mettre en pratique l’expression fétiche d’Henri Cartier-Bresson : « Photographier c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur.»

Des sujets, ils n’en manquent pas : les élégants voiliers de belle plaisance (faciles à reconnaître, ils sont souvent tout blancs et vernis), les bateaux du patrimoine un peu plus « carrés » ou « pansus », c’est comme vous voulez, aux voiles tannées de couleur ocre rouge, le misainier de Lesconil le Sauveur des Petits, une yole de mer de compétition qui glisse à la surface de l’eau, Seagull de Yann Mauffret qui file à belle allure, une caravelle (embarcation sur laquelle j’ai fait mes premières et dernières armes à la voile à l’Île Tudy en 1968-69 avec le lycée de Pont-l’Abbé), le chalutier guilviniste Blue Wave, Poe, voilier de 1965, un Skellig 2.2, voilier transportable de chez Plasmor, gréé « en lougre » à deux mâts avec deux voiles au tiers, un peu comme les sinagots, le cotre noir Karreg Hir BR 732721, de l’écomusée des goémoniers de Plouguerneau, de 1969, réplique d’un sloop goémonier de 1930, Martine, BR 267931, bleu au liston rouge, sloop goémonier de Landéda.

Une bonne vingtaine de personnes en situation de handicap ou à mobilité réduite passent, embarqués sur la barge aménagée du Centre de Moulin-Mer, mise à disposition de l’association Distro War Vor (retour en mer). Ce moyen de transport adapté leur permet d’être sur l’eau pendant une heure et demie, et d’admirer au plus près toutes les embarcations qui naviguent en rade. Une « belle échappée » dont ils se souviendront longtemps.

L’horizon, dans la direction du Sud, ressemble à une accumulation de mâts, une forêt de triangles souvent blancs ou rouge-orange, une verticalité et une géométrie puissance mille dominant cette ligne étriquée autour de la rade, une vision somme toute limitée pour les marins qui veulent découvrir de grands horizons inexplorés. Et paradoxalement, l’Histoire nous démontre le contraire car, passé le goulet, l’immensité est à prendre, elle est à eux. Ils l’ont prouvé depuis quelques siècles, quittant Brest et revenant, faisant avancer la science de par les connaissances accumulées lors de leurs épopées maritimes autour du Monde.

Par milliers, les spectateurs se pressent sur la digue Lapérouse. Pas de Caudrelier, Coville, Gabart, Joyon, Le Cléac’h et consorts. Non, non, ce n’est pas l’arrivée d’un Tourdumondiste du Jules Verne ou celle d’un Ultime dernière génération, il s’agit d’un spectacle que nous offrent la marine nationale et la SNSM. Un spectacle à couper le souffle : un hélicoptère H-160 de la base de Lanvéoc-Poulmic et une vedette de la SNSM vont procéder à une opération d’hélitreuillage bien rodée. Commentée au micro par un spécialiste, la démonstration recevra les applaudissements et de grands signes amicaux de la main de la part des parents et de leurs enfants, montés sur leurs épaules pour ne rien rater du ballet aérien et nautique.

Devant la digue, la majestueuse et médiatique Étoile du Roy ferme le ban. Plein à ras bord de passagers, on aurait dit un « boat-people » d’où émanait de la musique populo-franchouillarde du style bal de noce ou karaoké, à fond les amplis, très peu dans l’esprit des Fêtes maritimes.

Retour sur le quai des baliseurs. Une queue impressionnante s’est formée pour la visite de l’Hydrograaf. Les auteurs de Locus Solus dédicacent sous un parasol. Certains, auteurs de BD, comme Erwann Le Bot, sont très concentrés sur le dessin original ornant la première page de l’album qui va repartir loin de Brest avec son nouveau propriétaire. De même pour les artistes-auteurs de la galerie POD, dans une tente voisine, tous graffeurs ou bédéistes : Gwendal Le Mercier, Gildas Java, Nibor, Wen 2, Julien Solé, … Un grand plaisir aussi de revoir l’ami Pod à qui l’on souhaite de recouvrer une meilleure santé.

Un grand coup de corne de brume ponctue la sortie du port de la frégate FREMM Normandie. Son départ est salué par des centaines de personnes.

Au village polynésien, un jeune sculpteur kanak travaille sur des troncs d’arbre pour réaliser de petits tikis aux motifs traditionnels des Îles du Pacifique. Une équipière de Roland Jourdain, tee-shirt siglé de la fondation We Explore (navires à voiles construits à base de matériaux naturels comme le lin), suit de près les gestes de l’artiste. Dans le stand voisin, des habitants de Nouvelle-Calédonie informent les visiteurs sur la signification du drapeau et des symboles de la Kanaky (son nom en langue mélanésienne pour les indépendantistes) : le bleu du ciel, le rouge du sang versé, le vert du sol, de la terre ainsi qu’un soleil jaune sur lequel figure en noir, le toutoune, emblème du chef de clan kanak. J’aurai d’ailleurs une longue discussion avec l’un d’eux, actuellement en formation professionnelle à l’UBO. Quelques boutiques voisines proposent les classiques colliers de fleurs ou de coquillages, des instruments de musique ou des vêtements en tissu imprimé richement colorés et ornés de motifs géométriques ou de formes végétales stylisées.

Face au chantier du Guip, à l’extérieur du stand du Musée de la marine, des comédiens costumés proposent une reconstitution vivante des techniques liées à la navigation et au bateaux au Moyen-Âge. Tout près, un atelier offre des démonstrations de fabrication de kayaks et canoës, à faire soi-même. Quelques très beaux exemplaires terminés et vernis sont exposés devant le stand.

Avant d’entrer au Guip, un jeune ouvrier-charpentier nous invite, explications et matériel à l’appui, à découvrir les techniques de torsion du bois et leur application à la charpente de marine bois lors de la construction d’un navire. Deux étuves pour le cintrage des bordés sont également présentées. L’utilisation de la vapeur d’eau permet de rendre flexible le bois et lui donner une forme courbe, ce qui ne manque pas, me direz-vous, dans une quelconque coque !

A l’intérieur du grand hangar, plusieurs expositions permettent de se rendre compte du savoir-faire du Guip. Des coques de bateaux de plaisance en cours de finition, récemment vernies, donnent l’impression — concept que ne renierait pas Claude Monet — d’être face à un kaléidoscope de couleurs ou plutôt à un miroir réfléchissant ceux qui le contemplent. Un coin du chantier est réservé à Paul Bloas et ses « Portuaires ».

Tous les soirs, avec la complicité de Serge Tessot-Gay, guitariste de « Noir Désir », il réalise en direct, devant un public de près de 200 personnes conquises, une performance consistant à créer une nouvelle œuvre peinte. Un vrai succès, m’a confirmé Paul après la fête.

Sur un établi, des plans de demi-coques permettent aux visiteurs de comprendre la structure de la coque d’un navire. Mais c’est à partir d’une demi-coque en bois (modèle qui va permettre de visualiser sa silhouette) que les charpentiers vont pouvoir établir la forme des carènes et les profils de la charpente axiale ainsi que les couples nécessaires à la construction. (Pour plus de détails voir le site du Chasse-Marée)

Un mur du chantier sert également de galerie d’exposition à quelques artistes-peintres (parmi lesquels une grande amie, Anne Smith, Peintre Officiel de Marine) et photographes.

Face aux bureaux du Guip, j’aperçois deux vieilles connaissances en grande discussion : Roger, porte-drapeau des anciens combattants et résistants de l’ANACR et Yffic, Maire du « Port de », élégant bob de couleur crème sur la tête et arborant le tee-shirt des « Tonnerres de Brest 2012 ». Mais ce n’est pas tout ; arrive alors Brigitte Simon, artiste brestoise renommée, et dans la foulée (olympique) François Cuillandre. Deux maires d’un coup ! L’occasion est trop belle (et trop rare) : et hop ! Clic-clac Kodak ! Voilà tout ce beau monde dans la boîte à images !

Tandis que les lichous font la queue au stand « Tacoz sucré » et autres croque-brioche, kouign-amann et glaces, je décide qu’il est grand temps pour moi de me rincer le gosier (sans visiter les Antilles). J’opte donc pour le bar extérieur du Remorkeur, décoré de faux bachis en papier. Après avoir commandé un demi, je demande au serveur s’il est le patron. Parce que, figurez-vous, le patron, c’est l’oncle de mon kiné. Ce n’est pas lui, mais son père est là et les présentations sont faites. Juste à ce moment, j’avise un ami d’il y a près de 60 ans du Lycée de Pont-l’Abbé et je l’invite à prendre un verre. C’est curieux, car nous ne nous rencontrons quasiment qu’ici, lors des fêtes maritimes de Brest ! Dans la même classe de la quatrième à la seconde, il s’agit de Jean-Guy Le Floc’h, PDG d’Armor Lux, un des principaux sponsors des fêtes. C’est à chaque fois l’occasion de bavarder amicalement et d’évoquer des amis communs, de leurs parcours et bien d’autres souvenirs, en toute simplicité.

Après avoir emprunté le tunnel et le « pitit pont », retour rive droite, à Recouvrance au pied de la Tour Tanguy qui veille sur le Biche, thonier de Groix, que je salue avant de quitter définitivement le site par la porte Jean Bart. En attendant 2028 !