BR 2024, carnet de bord d’un promeneur brestois J 4

J 4 Lundi 15 juillet

Retour sur le site des Fêtes maritimes pour une deuxième journée marquée par des pluies diluviennes en fin de matinée. Mais, pas de panique ! Tout a séché et le ciel s’est éclairci. Il ne nous apportera que quelques brumisations sporadiques durant l’après-midi. Il ne m’a même pas fallu sortir le vêtement de pluie de son sac ! Conséquence de cet arrosage, la fréquentation s’en ressent et comme il y a moins de monde, on va pouvoir circuler plus facilement.

J’accompagne depuis la gare un ami artiste qui doit me quitter, car il peut accéder au site par une porte réservée aux porteurs de bracelets attitrés. L’entrée est une simple formalité ; moins de cinq minutes, à comparer aux 20/25 minutes de samedi. Je repère de suite le stand du SHOM et l’ami JB, également sonneur de biniou braz à la Kevrenn Sant-Mark. Lui et ses collègues de travail du Service Hydrographique proposent aux visiteurs de tester de manière ludique leurs connaissances sur la rade de Brest à l’aide d’un logiciel et d’une maquette. Je dois modestement avouer que je n’ai pas réussi à répondre correctement à toutes les questions.

En face, de l’autre côté du Parc à Chaînes, pas de bagnards, mais un papa au chapeau de pirate qui aide son fils pour une chasse aux trésors organisée par le stand « Loisirs en Finistère ». Juste à côté, l’Office de Tourisme du Gosier et de la Désirade (et non désir de rades — il y en a plein sur le quai — pour se remplir le gosier), vous fait miroiter la beauté et l’exotisme de la Riviera des Îles de la Guadeloupe. Allez ! un peu de rêve, ça vous changera de vos envies terre à terre quotidiennes ! Si La France Inconnue vous tente ! …

Je décide d’emprunter le tunnel pour rejoindre la zone militaire le long de la Penfeld et la rive droite côté Recouvrance. La Marine Nationale a investi les lieux ou plutôt, a installé ses expositions chez elle, car il est vrai que ces quais, sis au pied du Château de Brest et de la Tour Tanguy, lui appartiennent. Selon une blague 1000 fois usée, la seule matière grise de l’Arsenal aurait été constituée des couches successives de peinture grise que les matafs appliquaient consciencieusement sur les coques des navires (et qu’ils ne devaient pas saluer !). Et là on se rend compte qu’elle a bigrement évolué. Toutes les spécialités ont bénéficié des avancées technologiques récentes.

Près d’une hélice de patrouilleur, un objet à la couleur jaune pétante attire mon attention : peut-être est-ce là le fameux « yellow submarine » des Beatles ? Un espoir vite déçu ! Non, en réalité, il s’agit de Daurade, un drone sous-marin mis au point par DGA Techniques navales et le SHOM.

Capable de descendre jusqu’à 300 mètres de profondeur, ses instruments de bord, dont une série de sonars (latéral, multifaisceaux ou conçus pour sonder les sédiments lui permettent d’effectuer toutes sortes de mesures lors de missions de reconnaissance comme la cartographie d’un fond, des relevés bathymétriques pour établir un profil, chercher des objets sous-marins, posés ou mobiles, déterminer la nature du fond, etc. (source futura-sciences)

Dans la tente voisine, toutes les composantes actives de la Marine, DGA, Naval Group, la base aéronautique de Lanvéoc-Poulmic, présentent avec moult explications savantes missions et missiles, maquettes d’avions, de sous-marins et de navires, dont le porte-avions Charles de Gaulle, voire même un jeu de bataille navale sur table. Le tout est complété par l’exposition de matériels et tenues pour diverses interventions, dont le sauvetage en mer par hélicoptère et hélitreuillage des personnes.

J’ai même pu discuter avec un homme en tenue jaune ocre de plongeur-démineur. Dans le même secteur, il était possible d’échanger avec les fameux « oreilles d’or », personnes chargées de la veille auditive sur les sous-marins, véritables Sherlock Holmes du son sous la mer.

À l’extérieur, des pilotes en tenue devant un cockpit de Super-Étendard expliquent leur métier. Les enfants surtout, très intéressés, n’hésitent pas à y grimper et s’y faire photographier pour la postérité. « Maman, quand je serai grand, je pourrai être pilote ? »

Sous le pont de Recouvrance, la SNSM a installé son QG, face aux canots orange amarrés au ponton quand ils ne sont pas sur le plan d’eau pour promener les visiteurs (ou alors appelés pour une intervention — Si, si, ça arrive, même pendant les fêtes ; en 2008, mon ami Raymond Le Gain, patron du canot SNSM de Guilvinec, m’a raconté comment, un après-midi, il a leur fallu sortir pour remorquer un vieux gréement avec une voie d’eau en plein milieu de la rade. « C’était moins un », m’a-t-il dit !

Ici, l’ordre du jour est de remplir les caisses : vente de vêtements et de divers objets, recueil de dons, … permettront aux stations des rentrées absolument indispensables pour assurer le fonctionnement, l’entretien et le renouvellement des canots de sauvetage. Ceux de l’Aber Wrac’h sont là aujourd’hui pour présenter le scooter des mers, indispensable pour des opérations près de la côte quand la mer est démontée, des combinaisons de survie et expliquer aux visiteurs leur rôle et leurs missions, et — pourquoi pas — susciter des vocations ?

L’André Malraux, navire de recherches archéologiques du DRASSM (organisme du Ministère de la Culture — un nom obligatoire et logique quand le bateau en dépend) est à quai et s’apprête à appareiller. Et c’est à cause des préparatifs du départ et de la mise en route des moteurs que, malgré les interventions sympathiques d’une bénévole et d’un matelot du bord, le pacha ne m’autorisera pas une dérogation pour le visiter (ma carte d’adhérent à la Société Archéologique du Finistère ne suffira pas). Le journaliste d’une radio associative de la région toulousaine se verra également refuser l’accès à bord.

Face au plateau des Capucins, la Garonne, BSAM (Bâtiment de soutien et d’assistance métropolitain), construit à Concarneau en 2019 est visitable par le public. Lui, il reste à quai. Je fais demi-tour et décide, après avoir salué Baba Merzoug, de traverser pour de bon la Penfeld en empruntant le « pitit pont » de la chanson (le Pont Gueydon).

Au pied du grand pont, une association de modélisme naval navigant propose aux enfants de diriger à l’aide de boîtiers dédiés, munis de manettes, toutes sortes de bateaux téléguidés sur un plan d’eau artificiel de 300 mètres carrés. Cette expérience leur suffira-t-elle pour embarquer sur de grands voiliers, les commander « en vrai » et partir à l’aventure sur tous les océans du monde ?

Au moins, ils pourront en rêver en admirant, à quai rive gauche, au pied des imposants remparts du Château, les navires-école de la marine, le Mutin, l’Étoile et la Belle Poule, accompagnés de leur équivalent belge (le Zenobe Gramme, du nom de l’inventeur de la dynamo, immatriculé A 958) et de bateaux de la belle plaisance. Plus prosaïquement, ils pourraient aussi s’essayer sur la Nébuleuse (CM 2024, quelle coïncidence!), joli thonier de 19 m, peint en émeraude et vert bouteille, construit à Camaret en 1949 (75 ans, trois-quarts de siècle, respect mon commandant !).

Du pont de Recouvrance à la porte Jean Bart (un sacré client celui-là), le village « Actions de l’État en Mer » permet à différents organismes de se montrer au public et expliquer leurs missions : la gendarmerie maritime, le CEDRE et le CEPPOL (anti-pollution), le DRASSM (archéologie sous-marine), etc … René Tréguer, ancien gardien de but du Stade Brestois capte des photos et tape la discute.

Des passionnés de maquettisme échangent avec les visiteurs aux yeux écarquillés lorsqu’ils apprennent le nombre d’heures qu’il a fallu pour chaque réalisation, un vrai travail de patience et de minutie pour aboutir à une finition très réaliste. Une mention spéciale pour une chaloupe guilviniste immatriculée GV 1969 (année du mariage de l’auteur), ainsi qu’au majestueux porte-avions Charles de Gaulle de l’ami Yvon Bouder. Champions !

16 h 52 : l’André Malraux vient de quitter son amarrage et passe sous le pont de Recouvrance. Pas besoin de lever celui-ci, mais une demi-heure d’ouverture du pont Gueydon et un peu de patience supplémentaire pour celles et ceux qui veulent traverser. Et donc, retour rive gauche après un intermède de discussion rugbystique avec un responsable rennais de la sécurité, à l’accent du sud bien prononcé, et qui avait entendu parler du PAC Rugby de Plouzané. Je suis accueilli par un bagad, le Strollad Bro Leon de Bourg Blanc qui interprète « Tri martolod », la chanson des marins de Léchiagat et qu’interprétait, il y a cent ans, mon arrière-grand-mère Augustine Le Pavec.

Un peu plus loin, un petit bâtiment cubique, l’Observatoire du niveau de la mer est ouvert (très rare!). Ce marégraphe, l’un des plus anciens au monde, a été installé dans le port militaire de Brest en 1846 par Chazallon. Sa visite est une occasion unique de comprendre les enjeux du changement climatique et de l’évolution du niveau marin. Pour plus d’informations, voir le site du SHOM.

Juste à côté, les gentils papys bricoleurs de la « Caisse à clous » initient les enfants, gars et filles, à la découpe du contreplaqué marine pour réaliser une toupie, un joli souvenir de la fête. En toute sécurité, ils vont pouvoir — peut-être pour la première fois — se servir d’une scie, d’un marteau, d’un étau ou autre meule à main. Quand le tout sera assemblé, l’objet pourra être peint et « roule ma poule ! » Au milieu du flot de visiteurs, je fais la bise à une amie de longue date, Anne Smith, Peintre Officielle de la Marine, qui participe avec d’autres artistes- peintres à l’exposition présentée au Chantier du Guip.

D’autres enfants, près de la pointe de la Rose, ont l’honneur, rare car exceptionnel, de se joindre à quelques choristes des « Marins d’Iroise » pour entonner le populaire et inusable « Santiano » d’Hugues Auffray. Un pur bonheur se lit sur tous les visages, vieux et jeunes. Même la mascotte de la chorale ne boude pas son plaisir.

Assise sur une chaise, une dame se fait soigner le genou par une « équipière secouriste » de la Croix Rouge. Pas toujours visibles, mais 100 % indispensables, les secouristes sont présents sur tout le site de la fête, en veille pour intervenir rapidement et prendre en charge les victimes de bobos ou autres problèmes plus sérieux. Sur la grande pelouse de la Pointe de la Rose, une troupe en résidence au Fourneau a installé un dispositif pour présenter un spectacle à un petit public déjà installé sur des gradins démontables en bois.

Un petit tunnel creusé sous la batterie de la Rose permet de rejoindre un sentier étroit longeant le pied des remparts du Château sur son flanc Ouest. A son extrémité, on aboutit au Parc au Duc et on passe devant un petit cénotaphe en marbre noir, portant la mention en lettres d’or : « En hommage aux nageurs de combat de l’Armée de Terre et de la Marine nationale péris en mer ». Nous sommes toujours rive gauche, mais sur le terre-plein sud du Château qui accueille un marché de créateurs et de produits locaux.

Deux villages occupent le reste de l’esplanade avant le quai Tabarly : Under the Pole, Océanopolis, … les scientifiques brestois sont à l’œuvre pour une sorte de grande Fête des Sciences maritimes et océaniques. Au menu : actions contre le changement climatique, lutte contre les pollutions, préservation de la biodiversité et des ressources marines, le tout dans une ambiance ludique et pédagogique. Le village des Jeux propose des activités sportives avec, entre autres, un bassin permettant une initiation à certains sports nautiques. Un cinéma en plein air complète cette offre.

Dans un petit stand couleur vert d’eau, l’inamovible Jacky Le Gall dédicace un livre écrit par Hervé Ugo qui raconte 50 ans de Stade Brestois qui rêve maintenant d’Europe après sa belle troisième place en championnat de Ligue 1. Ayant entendu, de la part de joueurs, que le Monsieur n’avait pas beaucoup d’humour, je lui suggère que la meilleure solution pour assurer la présence du Stade en Coupe d’Europe tous les ans était de militer pour l’indépendance de la Bretagne. Il n’a pas apprécié la plaisanterie et je n’ai donc pas insisté.Retour sur les quais du « Port de ». La boucle est bouclée. On peut dire que j’ai parcouru les 7 kilomètres de quais de la Fête en deux après-midis, sans toutefois prétendre donner une vision exhaustive de tout ce qui était proposé aux visiteurs. Le Maire de Plouarzel, arborant un pantalon rouge pétant, loin de ses convictions politiques, passe devant moi, incognito dans la foule.

Les « Sérial Cleaners » se regroupent pour faire le point. Équipés de sacs à dos, gants et pinces télescopiques, ils arborent des gilets vert fluo bien reconnaissables avec leur logo dans le dos . Certains portent un grand sac ou poussent un bac poubelle à roues pour y déposer leur récolte. On peut leur tirer un coup de chapeau, car le site est vraiment clean. Une autre de leurs équipes ne passe pas inaperçue, car elle est accompagnée d’un cheval attelé à une carriole pour ramasser les sacs déjà remplis sur tout le site.

Devant le chantier du Guip, en plein milieu du Village « Patrimoine maritime », les bénévoles des « Amis du Sinagot » partagent leur passion avec des visiteurs particulièrement intéressés par le Trois Frères, posé sur le quai près d’un stand d’information. Comme tous les jours après 18 h, une compétition se prépare au bassin n° 1: deux petits canots (annexes) sans gréement, l’un bleu clair au liseré rouge, l’autre jaune d’or et liseré noir, s’affrontent pour une course à la godille. Un aller-retour de quelques dizaines de mètres et une bouée à virer pour les marins arc-boutés sur leur aviron.

Des souvenirs de ma jeunesse à Guilvinec me reviennent en voyant ces godilleurs : à 7/8 ans, nous, fils de marins-pêcheurs, savions déjà godiller et ce, bien avant se savoir faire du vélo !

Fin de la journée. Je m’offre une petite Coreff au Pub Mac Guigan’s et une dernière photo pour la route : Dan, le patron, et Vincent (celui des 4Vents) trinquent, l’air satisfaits du déroulement des Fêtes maritimes.