Petit rappel : au début du mois de juin 1911, tous les journaux d’Europe et d’Amérique font leurs gros titres sur le plus grand bateau du monde. Le Titanic, dernier-né de la flottille de paquebots de la White Star Line vient d’être lancé à Belfast, le 31 mai.
A la fin mars 1912, sous le commandement de son premier « pacha », le Capitaine Haddock (James Herbert), on procède aux essais techniques du navire. Celui que les ingénieurs ont baptisé l’« insubmersible » est déclaré « bon pour le service ».
Le 10 avril, avec, à la barre, le Capitaine Edward Smith, le Titanic quitte Southampton pour son premier voyage vers les Etats-Unis. La suite, la nuit du 14 avril, la tragédie, elle est dans toutes les mémoires …
Sur toute la côte, et même en Pays bigouden, le monde maritime a eu vent de la naissance de ce bateau exceptionnel. Avant le naufrage — on peut le supposer, sinon on parlerait d’inconscience ou de conduite suicidaire, connaissant les superstitions en vigueur chez les marins —, un patron-pêcheur guilviniste, Louis Cossec, proche de la retraite, décide de se faire construire un petit canot auquel il attribue (par orgueil ou par dérision ?) le patronyme du plus grand navire du monde qui fait l’objet de toutes les conversations au comptoir des bistrots du quai.
Jusqu’à présent, il avait placé tous ses bateaux sous la protection divine : Saint-Joseph, Volonté de Dieu, Mère du Sacré Cœur, Bannière de Jeanne d’Arc, Saint-Louis, Saint-Léonard ou encore Saint-Trémeur. Pas d’états d’âme, ce nom ferait certainement l’affaire, il n’y aurait que les habituels aigris et les éternels jaloux à se moquer !
Voilà donc notre patron, vers la fin de 1911 ou au début de l’année suivante, prenant langue avec le charpentier de marine Victor Daniélou pour la commande de son nouveau navire, le déclarant à la Douane pour la francisation ainsi qu’à l’Inscription Maritime pour son immatriculation au quartier de Quimper .
Le nouveau nom est accepté et le Titanic, immatriculé Q 3649, canot à voiles non ponté, misainier de 1,95 tonneau de jauge, va pouvoir naviguer à la petite pêche dès le 10 septembre 1912.
Mais, bien que son illustre homonyme ait coulé entre temps, il ne sera pas question de lui changer de nom (ça porte malheur !). Et vogue la galère !
Réplique de misainier
La première mésaventure survient le 6 juillet 1913. Alors que Louis Cossec est occupé à relever ses casiers à homards au large de Kareg Hir, en face du port du Guilvinec, le bateau, toujours sous voile, chavire sous l’effet d’une violente rafale.
Un autre canot, le Général Kronje, patron Guillaume Failler, en pêche de l’autre côté du plateau rocheux, doit en faire le tour pour porter secours au Titanic. Après une demi-heure de louvoyage, Guillaume Failler arrive sur les lieux du naufrage et recueille le malheureux patron qui, heureusement, s’est maintenu sur l’eau, cramponné à l’embarcation qui, par chance, flotte toujours.
Le Général Kronje réussit également à ramener le canot en remorque au port. N’ayant pas subi trop d’avaries, celui-ci pourra reprendre la mer quelques jours plus tard après réparations.
Le Titanic continuera encore son activité une douzaine d’années. En 1925 survient le deuxième épisode dramatique de son existence, fatal pour le navire, celui-là : il est complètement démoli par mauvais temps, le 15 septembre, en baie de Men-Meur.
Louis Cossec, âgé de 60 ans, en réchappe. Il arrêtera là sa carrière d’inscrit maritime à la pêche et coulera des jours paisibles jusqu’à l’âge respectable de 85 ans !
Et finalement, s’il faut trouver une morale à cette histoire, malgré deux naufrages, le petit Titanic bigouden, oublié de tous, sans faire trop de vagues, n’aura, lui, fait aucune victime !
Sources :
Archives du SHM Brest, séries : * 3 P 3 Matricule des inscrits maritimes, * 3 P 4 Matricule des navires, * 3 P 7 Rôles d’équipages
Bibliographie :
Ouest-Eclair des 11/06/1911 et 14/07/1913
« Le vrai Capitaine Haddock » Louis Francken ( Ed. Avant-propos 2011)
La version originale de cet article a été publiée dans Cap-Caval n°28 de juillet 2012
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