Le chien jaune de Sant Riwall

Près du Yeun Elez, selon les légendes anciennes qu’on racontait autrefois lors des veillées dans ce coin perdu des Monts d’Arrée – Menez Arez –, se trouve l’une des portes de l’Enfer. Située à l’est, au pied du Menez Mikel, le mont Saint-Michel de Brasparts, elle est au coeur des tourbières, dans un marais sans fond, le Lenn ar Youdig – littéralement le lac à la petite bouillie – d’où tout être vivant qui y tombe n’a aucune chance de sortir. Dans le pays, parmi toutes ces légendes, on raconte facilement des histoires de korrigans, d’Ankou, de diable, de loups et de chiens. Des chiens noirs ou encore des chiens jaunes, c’est selon.

Le diable, Paolig Korneg, dans son repaire de Sant Riwall, la maison Korneg, avait été informé par la rumeur qu’une transhumance se préparait dans le secteur situé au niveau du chemin du Comte. La meute de 184 moutons, venus du sud après avoir contourné le Menez Mikel, devait se diriger vers la ligne de crêtes dans la direction de Sant Kadou,accompagné d’une foule énorme, comme à chacun de ses passages dans la région. Le spectacle était unique et inoubliable pour toutes celles et tous ceux qui y avaient assisté.

Paolig Korneg, se souvenant d’avoir pris du plaisir à lire «L’auberge du bon chien jaune» de Pierre Mac Orlan, mettant en scène d’abominables – comme lui – pirates à Brest ou encore «Le chien jaune», roman policier de Georges Simenon, dont l’intrigue se déroule à Concarneau dans le milieu maritime interlope, se décida à prendre l’apparence de cet animal. Fouillant dans un ancien coffre, il en sortit une vieille pelisse délavée, un maillot à poils jaunes. «Voilà une tenue qui fera exactement l’affaire !», se dit-il. «Avec ça, je vais faire le spectacle, et pas qu’un peu ! Je vous promets de faire un carton ! Et du reuz, croyez-moi, on en parlera dans le tout Landerneau !»

Sa bonne connaissance des landes, chemins creux et bois environnants permit à notre diable d’approcher discrètement, à pas de loup, sans se faire remarquer de la foule des spectateurs. Il avait pris le bon vent afin que Opi et Omi, les chiens patous accompagnant le berger pour guider le troupeau, ne puissent pas renifler son odeur, particulièrement puissante et renforcée par l’antimites du vieux coffre à mardi-gras. Arrivé au niveau de la ligne de crêtes, au kilomètre 152, il mit son plan à exécution à 16 h 34 : il sortit de sa besace des peaux de bananes qu’il balança allègrement sous les sabots des pauvres moutons.

Perdant leur équilibre, une cinquantaine d’entre eux se mirent à glisser vers le fossé, arrêtant net la progression, dans une queue leu leu approximative, de la meute bêlante. Le berger et les patous Opi et Omi ne savaient plus où donner de la tête, c’était la panique totale. Quelques bêtes s’étaient même blessées en tombant sur le bitume et le sang coulait sur la route de Sant Kadou. Son forfait accompli, le Korneg s’enfuit immédiatement à toute allure dans la direction de Landerneau, afin de brouiller les pistes pour les enquêteurs du commissariat de Brasparz.

Création Claude Péron à partir d’une capture d’écran TV La 2 et du logo du Festival Le chien jaune de Concarneau

Une fois le calme et l’ordre rétablis, la caravane reprit sa route, les moutons à peu près en ordre de marche, les chiens patous Opi et Omi aboyant à qui mieux mieux pour canaliser les 184 brebis et agneaux avec, à leur tête, le maout, le bélier. Le berger prévint les autorités afin de faire retrouver l’auteur du désordre. Celles-ci confièrent l’enquête comme prévu au Commissaire Le Saint Michel, de Brasparz.

L’Archange exterminateur – c’était son surnom – réussira-t-il à faire la lumière sur cette agression abominable ?

En suivant les traces laissées par le chien jaune, le Commissaire Michel Le Saint arriva sur les hauteurs de Pencran, pas loin de la cité de la Lune. Quelle ne fut pas sa surprise en arrivant, là où les traces le menaient, au lieu dit Toull ar Bleizi, de découvrir au fond d’une fosse ancienne, datant du XIXe siècle, un chien-loup jaunâtre recroquevillé. Il s’était jeté de lui-même dans la gueule du loup !

Tel est pris qui croyait prendre, mais rira bien qui rira le dernier !

Quand l’enquêteur s’approcha, l’animal émit un cri inhumain. Des flammes surgirent de ses yeux rouges du feu de l’enfer, transformant son corps en cendres et exhalant une fumée jaune accompagnée d’une odeur de soufre.

Dans un dernier ricanement lugubre qu’on entendit jusqu’à Landerneau, le Korneg s’évapora au-dessus du calvaire de la Croix Neuve, formant comme une nappe de brume, comme on en voit sur le Yeun Elez. «Une fois de plus, tu n’as pas réussi à m’attraper, Michel Le Saint !» Le nuage malodorant se dissipa lentement et un arc-en-ciel apparut à sa place. Paolig Korneg avait vaincu la Fosse aux Loups et l’Archange exterminateur ! Il était devenu le Rainbow Warrior !

Une fois le diable-chien jaune disparu, le commissaire avisa, au bord du trou, sur la maçonnerie, un livre posé en évidence. Sur la couverture jaune et noire, un post-it fluo avec le message suivant :

«Rendez-vous au «Salon du chien jaune» à Concarneau à la mi-juillet. Si vous allez y faire un Tour, peut-être y verrez-vous Paolig ar Bleiz qui vous dédicacera ce livre, son dernier roman noir, «Accrocs à la Fosse aux Loups», aux éditions Ki Melen, dans la collection «L’an dernier à Landerneau», préface de Julian T. Avery.»

Selon les dires des habitants de la région de Sant Riwall, Korneg le cornu court toujours. Certains l’ont même vu, les jours de pleine lune – Kann al Loar –, revêtu de son maillot à poils jaunes, hurler à la mort au sommet du Roc’h Toul ar Bleiz, un pic proche du Menez Mikel. Un vrai festival qu’on entend même depuis Landerneau, je vous dis, me lavar deoc’h !

Création Claude Péron à partir d’une capture d’écran TV La 2 et photo de la silhouette installée dans la montée de la Fosse aux Loups à Landerneau.