J’ai testé pour vous la rampe de la Fosse aux Loups à Landerneau

Landerneau n’est pas Rome bien que nombre de voies romaines soient répertoriées dans le secteur (provenant de Quimper, Daoulas ou Carhaix). Si la ville, objet de vifs débats pour devenir le chef-lieu du Finistère au moment de la Révolution française, tout comme Quimper qui a finalement emporté le titre de préfecture, n’a pas 7 collines, son relief lui permet cependant de rivaliser avec d’autres, établies comme elle le long d’une rivière, au fond d’une vallée aux pentes escarpées.

Landerneau n’a pas non plus connu les jumeaux Rémus et Romulus, élevés, selon la légende, par une louve. Par contre la toute voisine commune de Pencran aurait vu en 1895, selon sa page Wikipédia, la capture officielle du dernier loup de Bretagne, mais rien n’est moins sûr, d’autres communes revendiquant également ce titre.

Et c’est ce lieu, sorte de Capitole en réduction, situé sur les hauteurs de Pencran, que des hordes de gaulois à vélo s’apprêtent à tenter de conquérir le 26 juin après avoir débarqué à Brest toute la semaine précédente. Il y aura aussi des étrangers venus des tribus voisines du grand monde celte, appelé aujourd’hui Europe, ou encore des habitants d’une grande île lointaine, de l’autre côté de l’Océan, inconnue du temps de Rome, les colombiens d’Amérique, de sacrés grimpeurs qui n’ont pas peur des grandes montées, paraît-il !

Alors, pour tester la réputation de la côte en question — et mes capacités à faire cette «grimpette» à pieds – , j’ai décidé de m’attaquer de front à la difficulté supposée, l’après-midi du 31 mai.

Le point zéro de l’ascension se situe au niveau du quai de Cornouaille, rive gauche de l’Elorn, au sud. En face, côté nord, rive droite, le quai Barthélémy Kerros accueille sur une cale raide le Dalh Mad, navire emblématique de la cité de la Lune. Ce Monsieur Kerros, négociant et armateur de navires de commerce, ancien échevin et maire de la ville avant la Révolution, était aussi un adepte des grands voyages, en tant que maître de barque et commandant du Coureur, un nom prédestiné ! Sa biographie, pour confirmer la chose, précise en outre qu’il aurait été corsaire, soit une sorte de «pirate officiel» du Roi, ce qui l’autorise à mener la «guerre de course» à nos meilleurs ennemis, anglais et espagnols.

Il faut lire, à son sujet, les livres très bien documentés de Yann-Ber Thomin, historien et également ancien maire de Landerneau.

Je me lance donc, à partir de l’Atelier, boutique de coiffure et d’esthétique, qui fait l’angle de la rue du Pontic qui est aussi la route de Lannurvan (Saint-Urbain, à ne pas confondre avec son homonyme, Saint-Turbin, dont la fête et le pardon sont célébrés le 1er mai par une grande procession). De suite, le ton est donné dans la rue du Pontic, plutôt raide, avec une pente estimée à 14%. Mes ligaments rotuliens fatigués par près de 20 années passées sur les terrains de foot vont-ils tenir ou me lâcher en rase campagne ? Je reste optimiste malgré la déclivité qui s’annonce.

Dès le début, ça grimpe déjà sérieusement et ça ne s’arrêtera que 3000 mètres plus loin, tout au bout de cette grande ligne presque droite qui va nous amener sur le plateau de la Croix Neuve, Kroazh Nevez, à 170 mètres d’altitude. Le dénivelé est conséquent, presque la moitié des plus hauts sommets des Monts d’Arrée, Menez Arrez, nos montagnes bretonnes !

Entre de hauts murs maçonnés, le maigre ruban de bitume s’élève inexorablement en passant devant l’Hôtel du Clos du Pontic. Il faudra parcourir environ 500 mètres pour atteindre le passage à niveau de la voie ferrée Brest-Quimper. Là se situe le dernier petit faux-plat, très court. L’altitude est déjà de 30 mètres. A partir de ce point, la longue grimpette ne s’arrêtera quasiment plus avant le but ultime, la courte ligne droite de deux ou trois centaines de mètres avant la ligne d’arrivée.

Juste après la ligne de chemin de fer, voilà la fameuse Rue de la Fosse aux Loups, traduite sciemment en breton par Ru Fos ar Bleizi. Ici, la pente topographique est encore particulièrement forte et a été calculée à 11%. C’est à cet endroit, sur le côté de la route, qu’apparaît la première silhouette noire en contreplaqué du loup qui hurle à la pleine lune (kann al loar) représentée par un disque entièrement blanc. On en trouvera encore, posées régulièrement le long du trajet, tous les 500 mètres.

Concernant la traduction, je ne peux m’empêcher, à l’énoncé de cette appellation du lieu-dit plus communément appelé Toull ar Bleiz en breton, d’évoquer la devinette que pose, l’air de rien, pince sans rire à 16 heures, Hervé Lossec, le facétieux auteur léonard des «Bretonnismes» :

«Gouzoud ‘rez ‘pelec’h emañ toull ar bleiz ? (Sais-tu où se trouve le trou du loup ?)

Ar respont n’eo ket diaes : dindan he lost emañ (La réponse n’est pas difficile : sous sa queue !)

Morale : quand on parle de lui, n’est-ce pas, on la voit … ?

Quelques centaines de mètres plus loin (et encore plus haut), on trouve également une allée de la Fosse aux Loups (Bali Fos ar Bleizi) qui part sur la droite. C’est une évidence, l’animal a fortement marqué les esprits dans la région et son souvenir est particulièrement bien entretenu (pour peut-être faire un peu peur aux enfants ?).

On sort de Landerneau et quelques dizaines de vaches ruminent paisiblement, couchées dans l’herbe verte des prairies. Au panneau d’entrée/sortie de l’agglomération, si on se retourne, ce que je ne conseille pas aux cyclistes en plein effort, on peut se rendre compte de la position de la ville, nichée au bord de l’Elorn, au creux de sa vallée aux deux versants nord et sud d’égale pente. Au milieu des toits émergent deux clochers qui les dominent et qui peuvent nous sembler minuscules, vus d’en haut.

Au niveau de Kerzioc’h, à mi-parcours, où l’IGN nous donne une altitude de 105 mètres, les mollets sont bien chauds et produisent leur effort maximal face aux grands arbres plus que centenaires du bois du Château de Chef du Bois de Pencran (Penn ar C’hrann). Pencran est la commune de naissance, en 1964, de Paul Le Guen, footballeur professionnel qui, comme son nom l’indique (Gwenn = blanc), est connu comme le loup blanc sur tous les terrains de France et de Navarre, voire plus loin encore sous le surnom de «patate de Pencran», en référence à sa puissance de tir.

Pencran est aussi la commune d’origine d’une entreprise leader dans son domaine, aujourd’hui délocalisée à quelques encablures de là, à Treflévénez. Il s’agit de Rolland, spécialiste des remorques de tous genres pour l’agriculture. Souvenez-vous des convois agricoles avec leur énorme tracteur américain et leur benne «Rolland – Pencran» que vous ne pouviez pas doubler en voiture et qui vous faisait enrager sur les petites routes, ici, un peu partout en Bretagne et même ailleurs. Peut-être qu’ici, elles serviront de voiture-balai pour les coureurs au bout du rouleau, qui sait ?

Puis le long ruban de route bitumée file le long de rangées d’arbres qui s’ouvrent sur des champs cultivés ou non. Des panneaux routiers indiquent le passage fréquent d’animaux sauvages, mais pas de loup à l’horizon. Pas de troupeau de moutons non plus, pas plus que de chèvres de Monsieur Seguin. Un délaissé ombragé de vieille route sinuant entre deux talus plantés d’arbres nous rappelle qu’autrefois les grands chemins n’étaient pas un long fleuve tranquille rectiligne.

Outre les voitures qui montent sans forcer, quelques cyclistes ou cyclotouristes, en grande tenue, avec les couleurs de leur club et de leurs sponsors grimpent laborieusement, penchés sur leur guidon, pliés en deux. Ils sont venus se rendre compte de la difficulté et ils en ont pour leur argent, ou plutôt leur sueur. Une dame, en tenue de ville et casque sur la tête, le dos bien droit, bien vertical, pédale sans forcer et avale la côte allègrement. J’ai un doute : serait-elle dopée ? Ou alors, est-ce le moteur caché dans le cadre de son vélo électrique qui lui assure cette belle allure ? Probablement !

A gauche de la route, au niveau de la ferme de Goazaléguen on atteint la cote de 143 mètres d’altitude, avant d’apercevoir au loin le calvaire de la Croix Neuve qui culmine à 170 mètres. Ici, sur ce Capitole Pencranais, pas de temple de Jupiter (le portrait du Président Macron se trouve à la Mairie) ni de roche tarpéienne, autrefois lieu d’exécution des traîtres. Le jury ne fera cependant aucun cadeau aux tricheurs, s’il y en a et ils seront déclassés !

Bilan de mon ascension pédestre : j’ai mis un peu moins de 50 minutes pour monter l’Olympe et environ 35 minutes pour redescendre (et pris 160 photos le long du parcours). En bref, ce ne fut pas un exploit au sens littéral du terme, mais je suis quand même satisfait du résultat, car j’ai maintenant le vécu de la chose pour pouvoir parler en connaissance de cause, objectivement, du sujet. Finalement, mes ligaments rotuliens ne m’ont pas joué de sale tour. L’honneur est sauf et la satisfaction pleine et entière.

Mais pour les cyclistes, et surtout les éventuels échappés, ce ne sera certainement pas une sinécure, vu que la meute aux abois des poursuivants aura les crocs et fera tout son possible pour les avaler tout crus ! Ils devront surtout faire attention aux nombreux pièges à loups, fosses aux loups, toulloù bleiz, … et nul ne peut prédire qu’il n’y laissera pas sa peau, tout comme ce blaireau mort au bord de la route — attaqué par un loup, qui sait ?– et qui n’aura pas eu le flair de Bernard Hinault, celui qu’on avait surnommé le Blaireau, lui qui a décroché la Lune à cinq reprises sur les Champs Elysées !